Adolescents et jeunes sous influence
(Source : BULLES 2ème trimestre 2004, n° 82)
Sommaire
Introduction
Les signes qui doivent alerter
Des armes légales pour agir
Quand le danger vient de la famille
En cas de divorce
Et en attendant que justice passe ?
Que faire si son enfant est embrigadé
Ont-ils raison, sinquiètent-ils à tort ? Nous ne rappellerons jamais assez quen la circonstance, le pire des comportements à adopter serait pour un père ou une mère inquiet des fréquentations de son enfant de juger sans prendre le temps danalyser attentivement la nature du lien qui lunit à ses nouveaux amis.
Parce quil nexiste pas de statistiques officielles pour évaluer objectivement limpact des groupes prosélytes, quils soient religieux ou non, sur les adolescents, il convient sans doute de faire preuve dune grande prudence en la matière. Lintérêt croissant des médias pour toutes les manifestations illustrant le repli communautaire, une tentation à laquelle pas plus que leurs aînés, les jeunes, malheureusement, néchappent, a eu le mérite déclairer une réalité longtemps occultée, voire totalement déniée par les pouvoirs publics.
Oui, il existe bien des cas dembrigadement sectaire chez les mineurs, même si le phénomène, difficile à circonscrire, reste bien évidemment marginal chez les moins de dix-huit ans. À cet égard, lengouement récent des journalistes pour les faits-divers illustrant cette triste évidence tend peut-être à fausser quelque peu la donne, à renforcer les angoisses sécuritaires de ceux qui craignent la mise sous influence systématique de nos jeunes, dès lors quils se cherchent une tribu délection. Cette angoisse pousse parfois à adopter à leur égard des comportements inquisiteurs, à prêcher lintolérance au nom dun objectif sécuritaire dont les excès peuvent parfois savérer plus destructeurs que les maux quon entend prévenir ou soigner.
À lâge où lon cherche dabord à sémanciper de la tutelle parentale, où lon se construit aussi en sopposant, où lon aspire à se trouver une « famille » dadoption qui soit de préférence aux antipodes de la sienne, le désir de transgression se veut presque toujours la règle et fréquenter un groupe à risque peut relever de cette tentation-là. Cela ne signifie pas pour autant que ladolescent concerné ira jusquà lui aliéner sa propre liberté, ni que lon doive nécessairement craindre pour lui la manipulation sil senthousiasme avec un peu trop de ferveur pour une cause, un idéal ou un leader au charisme irréfutable. Les cas avérés dembrigadement savèrent tout de même très rares, ne loublions pas !
En ce domaine comme en bien dautres, la vigilance restant évidemment toujours bonne conseillère, quelques indices simples peuvent aider les parents qui sinterrogent à se rassurer sur lindépendance desprit de leur enfant face aux sollicitations diverses qui lui sont proposées.
Une mauvaise rencontre étant toujours possible, un certain nombre de signes doivent en effet les alerter à juste titre et les amener à réagir avant quil ne soit trop tard. Même si on ne peut parler de symptômes infaillibles, car une mise sous influence psychologique est toujours très pernicieuse, et, au moins au début, difficile à établir, ils sont au moins lexpression dun malaise quil convient de prendre en compte et quil serait dangereux dignorer.
Pris un à un, ces comportements peuvent paraître anodins, cest en fait leur accumulation qui pose problème, lorsquils se conjuguent dans un faisceau de présomptions révélant un changement profond dans la personnalité de son enfant, subitement devenu « autre » et enclin dans les situations les plus quotidiennes à fuir notre regard comme sil le sentait peser sur lui comme une menace.
Ce sont par exemple des manifestations de rejet inhabituelles à légard de tout ce quon lui a enseigné précédemment à lécole ou à la maison. Des changements aussi soudains que radicaux dapparence physique, ladoption de régimes alimentaires non justifiés, voire totalement aberrants. Un discours très virulent à lencontre de la société, allié à une forme dexaltation ou des discours délirants sur les vertus que le jeune prête à son groupe dadoption. Une rupture totale avec ses anciens amis, des absences injustifiées au lycée ou à la fac, une contestation des enseignements reçus à lécole, notamment en sciences de la vie, ladoption de thèses « créationnistes » dénotant un refus des mécanismes de lévolution, une tendance au repli, au secret, un isolement au sein même de la cellule familiale et, dans le même temps, des demandes dargent répétées, non justifiées, exorbitantes.
Sils sont témoins de tels comportements, quils éprouvent le sentiment in-quiétant quon « leur a changé » leurs fils ou leur fille, sans aucun doute, les parents doivent intervenir, essayer de comprendre quel sens accorder à ces manifestations, les entendre aussi comme des signaux de détresse ou des appels à laide inconscients et tenter par tous les moyens de regagner la confiance de leur enfant pour renouer le dialogue avec lui.
Mais si la communication est déjà devenu trop difficile avec lui, sils se sentent littéralement dépassés, ils ne doivent plus hésiter à recourir à un tiers, consulter notamment les professionnels de la jeunesse et/ou associations de prévention qui pourront les aider à rétablir le lien, voire sil le faut, à envisager une réponse juridique adaptée qui prenne en compte lurgence éventuelle de la situation
La France dispose en effet dun large éventail de lois visant à protéger les mineurs en danger. De nombreuses dispositions du Code pénal et du Code civil définissent ainsi les atteintes à leur égard susceptibles dinduire des poursuites devant les tribunaux et, pour les victimes des faits commis, des mesures dassistance éducative.
Elles permettent à cet égard de réprimer nombre de crimes et délits commis par des adeptes de mouvements sectaires, y compris lorsque ces derniers sont les propres parents des intéressés et ne répondent pas correctement à leurs obligations éducatives ou dassistance. Ladoption le 30 mai 2001, de la loi dite About-Picard, du nom de ses deux initiateurs, les parlementaires Nicolas About et Catherine Picard, renforce désormais efficacement ce dispositif.
Rappel :
Pour agir en faveur dun mineur dont on suspecte la mise en danger physique ou psychologique :
Une simple requête sur papier libre au Procureur de la République du tribunal compétent peut suffire.
On y consignera la nature de linfraction commise sur le mineur, en exposant la nature des faits reprochés, et les dangers encourus par lenfant. Celle-ci sera alors officiellement enregistrée et une enquête pourra être lancée. Sagissant de mineurs la justice peut sauto-saisir.
Cette procédure est différente dune plainte en bonne et
due forme auprès du Procureur de la République. Cette plainte
ne peut être déposée que par les parents ou ayants droit
du mineur.
Malheureusement il arrive parfois que le danger de manipulation dun mineur prenne sa source au sein même de la cellule familiale, quand les parents par exemple, sont membres dune secte ou dun mouvement intégriste. Il savère alors dautant plus difficile dagir pour les proches qui veulent le libérer de cette emprise néfaste, grands-parents, oncles ou tantes, frères ou surs, que les juges saisis ne fonderont jamais leur décision sur lappartenance sectaire des parents en elle-même, chacun étant, daprès la loi, libre de ses choix idéologiques.
En clair, si les responsables légaux dun mineur peuvent prouver quils lui assurent une éducation matérielle correcte et ne le maltraitent pas physiquement, sil est impossible de les prendre en défaut sur le plan sanitaire et éducatif (scolarité apparemment normale, pas de carences alimentaires, de maltraitance ou dabsence dhygiène et de soins), un juge aura beaucoup de mal (et parfois de réticence) à agir concrètement contre eux. Les dégâts psychologiques, les déséquilibres et les troubles affectifs que peut induire sur un mineur lappartenance de ses parents à un groupe sectaire, nen sont pourtant pas moins réels et parfois tout aussi préoccupants, dès lors quils lui laissent des séquelles profondes, susceptibles dhypothéquer gravement son avenir.
En cas de doute, et à défaut de vouloir prendre des mesures trop draconiennes, le juge peut au moins rétablir le lien souvent rompu avec par exemple les grands parents et, en sappuyant sur larticle 371-4 du Code civil, instaurer un droit de visite obligatoire pour ces derniers. Petite note doptimisme à relever, lactualité récente semble indiquer une évolution favorable dans lappréciation des magistrats sur le caractère nocif de lemprise psychologique de parents adeptes sur leurs enfants mineurs.
Dans un article du 8 novembre 2003, le journal Ouest France faisait ainsi écho de la décision dun juge du tribunal de Nantes, saisi par la tante de la jeune fille, de prononcer une interdiction de sortie de territoire pour sa nièce de 14 ans, que ses parents, adeptes de « léglise » de Scientologie, encourageaient à émigrer dans un centre de formation du mouvement au Danemark. Cette disposition na été levée par les magistrats de la Cour dappel quune fois lassurance obtenue que ladolescente continuerait bien à suivre sa scolarité dans une école française
En dépit des avancées considérables obtenues en matière de protection de lenfance en danger, il reste bien évidemment des situations dramatiques dont le traitement demeure aujourdhui encore très problématique, notamment quand lun des parents est adepte dun mouvement sectaire et lautre pas. Ce cas de figure débouche le plus souvent sur un divorce et des conflits terribles au sujet de lenfant, devenu malgré lui, lenjeu principal dune querelle qui le dépasse. Celle-ci peut savérer très lourde de conséquences si le magistrat chargé de statuer évalue mal la réalité du danger moral ou physique et des risques dembrigadement quil encourt auprès dun père ou dune mère, eux-mêmes sous influence.
Depuis 1993, dans toute procédure le concernant, le mineur « capable de discernement » peut désormais sexprimer devant le juge ou la personne que celui-ci désigne à cet effet et lui faire part de ses choix de vie, quand ses parents se disputent sa garde. Si lenfant en fait lui-même la demande, son audition ne peut lui être refusée que sur une décision spécialement motivée. Et sil souhaite être assisté dun avocat lors de la confrontation, il peut bénéficier de laide juridictionnelle, qui prendra en charge les honoraires afférents, de façon quil nait rien à payer. Cette disposition fait écho à larticle 12 de la Convention internationale, selon lequel chaque enfant a la « possibilité dêtre entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative lintéressant ».
Il pourra ainsi exprimer au juge son refus de vivre sous emprise sectaire, et linformer des contraintes particulières quon cherche à lui imposer en vertu dune « religion » ou dune philosophie quil ne veut pas faire sienne : réunions de prières obligatoires après lécole, prosélytisme forcé, travail au sein de lorganisation. Sil prend la peine dexprimer clairement ses oppositions, ses craintes ou son désespoir, il a toutes les chances dobtenir satisfaction, au moment où son interlocuteur sera amené à trancher en conscience, même si son avis, na quune valeur consultative.
La situation se complique évidemment quand on a affaire un enfant en bas âge, dont on redoute quil subisse linfluence de sa mère si elle obtient le bénéfice de la garde. À défaut dobtenir satisfaction auprès des juges toujours très réticents à séparer de très jeunes enfants de leur maman, on pourra toujours solliciter une mesure dinjonction empêchant cette dernière ou nimporte quel tiers de son entourage, de soumettre le bébé dune manière ou dune autre à linfluence de sa communauté. Il conviendra évidemment dans un deuxième temps, de sassurer, si besoin est, par visites et constats dhuissier au domicile habituel de lenfant, que linjonction prononcée est toujours bien respectée.
Langoisse des parents ou proches dun jeune sous influence sectaire savère dautant plus grande que la rupture avec ce dernier, consommée dans la douleur à linstigation du groupe ou de la communauté dadoption qui aura tout fait pour le séparer deux, se prolonge le plus souvent sur des mois voire des années, même lorsque la justice est saisie. Dabord parce quun adepte « accompli » reste lacteur autant que la victime de la manipulation quil subit et quà ce titre, il serait illusoire de prétendre larracher contre sa volonté, à sa nouvelle famille dadoption. À linstar dun drogué ou dun alcoolique, il ne se libèrera de sa dépendance, quaux prix dun immense effort et dun cheminement aussi ardu que douloureux, après quun déclic salutaire marquant sa prise de conscience se soit produit en lui. Tôt ou tard, un événement quelconque, parfois anodin, une simple consigne de trop, un écart intolérable de son gourou, une brimade ressentie comme une injustice peut en effet agir en lui comme un « révélateur ». Il faut donc toujours garder espoir. Mais tout le temps quil naura pas pris la mesure de son asservissement et quil agit en serviteur zélé de la cause qui laliène, ses proches doivent redoubler de prudence et éviter de brusquer les choses, tout en gardant à lesprit quune issue est possible, le jour où le déclic, en lui, se produira. Cest à ce moment là, précisément, quil aura le plus besoin daide. Pour arriver à surmonter sa peur du « dehors », il doit sentir quil nest pas seul au monde, quil a quelquun vers qui se tourner en dernier ressort. Cest à cette condition seulement quil peut se convaincre de franchir le pas pour faire marche arrière et affronter lépreuve qui lattend Car on ne sort pas indemne dune expérience qui vous change si profondément et dont les séquelles peuvent savérer gravissimes si elles ne font pas lobjet dune prise en charge thérapeutique confiée à des spécialistes. Parce quon ne renonce pas si vite à une passion pour laquelle on a cru devoir tout donner. Cest un arrachement qui ne va pas de soi, une violence quon se fait, au nom dun lendemain qui naugure rien de bien exaltant, juste un manque à combler, une existence nouvelle à recommencer. Cest piétiner la chimère quon portait secrètement en soi. Un ex-adepte nest donc jamais tiré daffaire dès quil a physiquement rompu ses attaches sectaires. Reste pour lui à renoncer à un idéal déçu, rompre avec un épisode intense de sa vie, dont lempreinte mitigée, entre le souvenir des souffrances accumulées et la nostalgie des joies quil a certainement éprouvées au sein même du groupe qui le tenait enfermé, mettra du temps à cicatriser. Pour laccompagner sur le chemin de la reconstruction, un chemin dautant plus ardu quil aura été longtemps désocialisé, privé de ses anciens repères, devenu étranger au monde quil devra réinvestir pour retrouver une vie sociale et se construire un avenir, le soutien de ses proches savèrera bien sûr indispensable dans les moindres détails du quotidien. À cet égard, ces derniers ne doivent, pas moins que lui, présumer de leurs forces, sempêcher de recourir à des tiers quand le besoin sen fait sentir. Au sein des ADFI notamment, ils bénéficieront dune écoute, de conseils pertinents dans toutes les démarches judiciaires, administratives, ou professionnelles à mener pour réparer le préjudice subi, voire bénéficier dune aide matérielle en cas durgence. Ils pourront aussi participer à des groupes de paroles, confronter leur expérience à celle dautres parents, rencontrer des professionnels et bénévoles travaillant sur le terrain depuis des années. La cause est entendue : dans la période critique qui suit sa sortie de secte, ladepte est encore un sujet fragile et quand il sagit de son enfant on ne peut ni ne doit négliger aucune des ressources permettant de lui épargner les « rechutes » toujours possibles, la tentation daller à nouveau se réfugier dans le cocon dont il sest arraché à grand peine, ce rêve de fusion qui nétait quun miroir aux alouettes où se brûler les ailes Dominique Biton, Auteur de Sectes, gourous, etc Éviter aux ados de se laisser piéger (Albin Michel - 2003) |
Ne pas le juger, le condamner trop hâtivement pour ses choix ou son engagement
Toujours lui rappeler quon respecte sa liberté dopinion même
si on en souffre, évidemment.
Rester lucide face aux nombreuses sollicitations dont vous ne manquerez pas dêtre lobjet, si votre enfant revient vers vous à linstigation de son groupe, en agent prosélyte de sa communauté dadoption.
Se protéger de ses demandes répétées dargent,
des chantages affectifs et autres tentatives de séduction quil
déploiera pour vous ramener à ses thèses.
Ecouter ses arguments puis rappeler sans animosité vos divergences de
vues en laissant toujours une porte ouverte au dialogue, en évitant de
tourner en dérision ses prises de position même si elles paraissent
totalement délirantes.
Sil se montre vindicatif face à déventuels refus de le subventionner, on peut essayer de contourner ses exigences en lui montrant laffection quon lui porte dune autre manière : par exemple en lui offrant de petits présents personnels dont son groupe sectaire naura aucun usage.
Ne pas le braquer
Le braquer ou lui poser des ultimatums ne ferait sans doute quempirer
les choses.
Même armé des meilleures intentions du monde, on risque alors de renforcer chez ladepte une paranoïa déjà largement entretenue par la secte.
Garder le contact
Si un enfant devenu majeur quitte le foyer pour vivre au sein de sa communauté,
il faut absolument trouver un moyen de garder contact avec lui, même sil
ne sagit que déchanger des banalités ; de faire «
comme si » tout allait bien
Le but est déviter de le laisser se marginaliser, se mettre en rupture totale de famille et de son passé.
On doit constamment tenter de le ramener à soi par de petites astuces, des invitations ou des nouvelles de ses anciens amis, des vux ou des messages chaleureux à loccasion des fêtes et des anniversaires ; en bref, multiplier les occasions et les prétextes pour rétablir le lien, en veillant toutefois, à ne jamais le lui imposer par la contrainte.
Sil est déjà pris dans un système très coercitif, il est fort probable que les membres de son groupe contrôlent, voire détournent sa correspondance. Cest pourquoi, lui adresser des lettres de reproches ou des missives larmoyantes serait totalement contre-productif.
Maintenir une « fenêtre » ouverte sur le passé
Dans les cas les plus graves, on ignore où il se trouve et lon
a alors plus aucun moyen de le forcer à revenir.
Au cours de cette période particulièrement délicate à gérer sur le plan personnel, on peut tromper son angoisse en enquêtant discrètement (auprès de ses dernières relations, sur son lieu de travail, à sa banque ) pour essayer de le localiser au plus vite.
Dès que lon connaît son adresse, lui adresser un petit mot sans aucun reproche ni signe manifeste dinquiétude, constituera déjà un premier pas. Autant de moyens de lui signifier dune manière ou dune autre quil est aimé et quon pense à lui. En maintenant ouverte cette « fenêtre » sur son passé, on donne paradoxalement à ladepte une vraie perspective.
D.B
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