GURDJIEFF

L'homme endormi, les mensonges et les "tampons"

(Source : Extrait de: Fragments d'un enseignement inconnu - Ouspensky - Edition Stock)


Si un homme comprend qu'il est endormi et s'il a le désir de s'éveiller, tout ce qui pourra l'aider sera le bien et tout ce qui se mettra en travers de son chemin, tout ce qui sera de nature à prolonger son sommeil, sera le mal. De même, il pourra discerner exactement ce qui est bien et mal pour les autres. Ce qui les aide à s'éveiller est bien, ce qui les en empêche est mal. Mais il n'en est ainsi que pour ceux qui veulent s'éveiller c'est-à-dire pour ceux qui comprennent qu'ils sont endormis. Les hommes qui ne se rendent pas compte qu'ils sont endormis et qui ne peuvent pas avoir le désir de s'éveiller, ne peuvent pas avoir la compréhension du bien et du mal. Et comme les gens, dans leur immense majorité, ne se rendent pas compte qu'ils dorment et ne s'en rendront jamais compte, jamais le bien ni le mal ne pourront exister pour eux.
" Cela contredit les idées généralement reçues. Les gens ont l'habitude de penser que le bien et le mal doivent être le bien et le mal pour tout le monde, et, surtout, que le bien et le mal existent pour tout le monde. En réalité, le bien et le mal n'existent que pour un petit nombre, pour ceux qui ont un but et qui tendent vers ce but. Alors pour eux, ce qui va à l'encontre de leur but est le mal, et ce qui les aide est le bien.
" Mais la plupart des endormis diront naturellement qu' ils ont un but et qu'ils suivent une direction définie. Pour un homme, se rendre comte qu'il n'a pas de but et qu'il ne va nulle part est le signe qu'il approche d'un éveil : c'est un sine que l'éveil devient réellement possible pour lui. L'éveil d'un homme commence en cet instant où il se rend compte qu'il ne va nulle part et qu'il ne sait pas où aller.
" Comme nous l'avons déjà dit, les hommes s'attribuent un grand nombre de qualités, qui, en réalité, ne peuvent appartenir qu'à ceux d'entre eux qui ont atteint un degré plus élevé de développement et un degré plus élevé d'évolution que les hommes n° 1, 2 et 3. L'individualité, un " Moi " unique et permanent, la conscience, la volonté, la capacité de ",faire ", un état de liberté intérieure - aucune de ces qualités n'appartient à l'homme ordinaire. Pas plus d'ailleurs que l'idée du bien et du mal, dont l'existence même est liée à un but permanent, à une direction permanente et à un centre de gravité permanent.
" L'idée du bien et du mal est quelquefois liée à l'idée de la vérité et du mensonge. Mais, pour l'homme ordinaire, la vérité et le mensonge n'existent pas plus que le bien et le mal.
" La vérité permanente et le mensonge permanent ne peuvent exister que pour un homme permanent. Si un homme change continuellement, la vérité et le mensonge eux aussi changeront pour lui continuellement. Et si, à tout moment, les hommes sont chacun dans un état différent, leurs conceptions de la vérité devront être aussi diverses que leurs conceptions du bien. Un homme ne remarque jamais de quelle façon il commence à regarder comme vrai ce qu'il considérait hier comme faux, et vice versa. Il ne remarque pas plus ces renversements qu'il ne remarque la transformation de l'un de ses "moi" en un autre.
" Dans la vie de l'homme ordinaire, la vérité et le mensonge n'ont aucune valeur morale, parce qu'un homme ne peut jamais s'en tenir à une vérité unique. Sa vérité change. Si, pendant un certain temps, elle ne change pas, c'est simplement parce qu'elle est retenue par les " tampons ". Et un homme ne peut jamais dire la vérité. Quelquefois, `"ça dit" la vérité, quelquefois, "ça dit" un mensonge. Par conséquent sa vérité et son mensonge sont également dépourvus de valeur. Ni l'un ni l'autre ne dépendent de lui, ils dépendent tous deux de l'accident. Et cela n'est pas moins vrai en ce qui concerne les paroles de l'homme, ses pensées, ses sentiments et ses conceptions de la vérité et du mensonge.
" Pour comprendre l'interdépendance de la vérité et du mensonge dans sa vie, un homme doit parvenir à comprendre son mensonge intérieur, les incessants mensonges qu'il se fait à lui-même.
" Ces mensonges sont produits par les " tampons ". Pour arriver à détruire les mensonges qu'il se fait inconsciemment à lui-même, aussi bien que les mensonges qu'il fait inconsciemment aux autres, les "tampons" doivent être détruits. Mais l'homme ne peut pas vivre sans "tampons". Ils commandent automatiquement toutes ses actions, toutes ses paroles, toutes ses pensées et tous ses sentiments.


 
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