La Scientologie contre la fraternité

( Source : Bulle n° 66 - 2ème trimestre 2000 )

Un article de Paul Ariès, chercheur associé de sciences politiques à l'Université de Lyon 2 et spécialiste reconnu de la question des sectes - Cet article reprend l'essentiel de l'argumentation développée dans ses divers travaux, notamment son ouvrage "La Scientologie : Une secte contre la République" - Éditions Golias, 1999 - avec préface d'André Vivien


Introduction
La Scientologie, idéologie du libéral-totalitarisme
La Scientologie face à la démocratie
La Scientologie face au politique
Conclusion


Introduction

La Scientologie diffuse une idéologie du refus des faiblesses et de mépris du faible. Elle en tire des positions très cohérentes comme la critique de l'État-Providence ou du syndicalisme mais aussi des propositions de management proches de notre modernité. Elle se veut officiellement apolitique mais prône un ultra-libéralisme non démocratique. Elle nous renvoie avant les Révolutions réalisant ainsi une rétro-procession historique : l'humanisme, la République et la démocratie constitueraient des parenthèses à refermer.

La Scientologie, idéologie du libéral-totalitarisme

"L'action la plus importante à entreprendre lorsque l'on cherche à établir un point (...) est de soigneusement et avec beaucoup d'effort découvrir qui sont exactement les gros bonnets de la région dans les cercles politiques et financiers et leurs associés et leurs connexions et à quoi chacun est hostile" (HCO du 12 janvier 1973).
La Scientologie exprime une version "hard" du libéralisme débarrassé du sentiment de fraternité. Il n'est donc pas étonnant qu'elle bénéficie d'un bon accueil dans le champ économique. Ses techniques de management se proposent en effet de rendre les gens capables, plus capables. Elles reposent sur la standardisation de toute activité et la normalisation des hommes. Il n'est donc pas étonnant qu'elle parvienne à vendre ses "tech" censées accroître l'efficacité de chacun. La Scientologie explique ainsi que la fatigue au travail est due à des problèmes personnels, il suffirait d'extravertir les salariés pour mettre fin à la prétendue dureté du travail (sic). Elle propose pour cela des méthodes, comme faire des promenades ou regarder des passants. Elle affirme qu'elles permettent ainsi d'éviter les jeux irrationnels comme les grèves qui perturbent la production ou les bons rapports sociaux dans l'entreprise (sic). Ce type de discours reçoit un bon accueil de la part de nombreuses multinationales, comme en témoignent les longues listes de ses clients publiées par la Scientologie : General Motors, Citroën, Lancôme, Perrier, Mobil Oil, Epson Amerika, Volkswagen, etc. Elle se targue du soutien de Coca Cola en Colombie et de Mc Donald's aux États-Unis en reproduisant une photographie ou un groupe d'enfants brandissant leur certificat sous le sigle du géant du fast-food. Le texte précise "des entreprises soutiennent les programmes du Chemin du bonheur dans les écoles et leurs communautés locales" . La société Coca-Cola-France nous a fait parvenir le 10 septembre 1999 une lettre précisant que "le groupe Coca-Cola n'a aucun lien avec la Scientologie, ne cautionne ni ne soutient aucun programme lié de près ou de loin à la Scientologie et n'a jamais donné l'autorisation de reproduire Coca-Cola sur un document émanant de la Scientologie." On ne peut que se réjouir de cette réponse en attendant maintenant les explications de la Scientologie.
Le fait que ces soutiens proviennent du continent américain n'est pas un facteur minorant en raison de la place qu'occupent les États-Unis et ses "marques" dans l'imaginaire collectif. Loin de se satisfaire de l'image de la pieuvre, il faudrait évoquer, ici, bien plutôt des homologies. La meilleure preuve en est la place qu'occupe aujourd'hui la secte sur le marché du management. Ses dix-sept collèges (universités) Hubbard d'administration ne désemplissent pas. Ils sont implantés principalement aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Australie, en Suisse, etc. La Russie compte déjà, pour sa part, quatre collèges formant 350 cadres supérieurs par mois. On estime que près de 200 000 cadres supérieurs ont été initiés aux "Tech" de management.

La Scientologie face à la démocratie

La Scientologie affirme dans divers écrits que la démocratie (la pensée collective) est une manifestation du "mental réactif" (en quelque sorte de notre sous-humanité). Le pouvoir trouverait donc son origine et sa légitimation dans une véritable mystification.
Le refus du dialogue
La fraternité n'existe pas sans dialogue, sans respect de ses adversaires. Les organisations de défense dénoncent régulièrement ses tentatives "d'infiltration" de l'appareil d'État. Ses organisations chercheraient à recruter des dirigeants et à influer sur leurs décisions :
"On peut envisager la forme générale d'un gouvernement mondial. Ce gouvernement ne s'étendra pas, en tant que gouvernement administratif, en dehors de la Fondation de Dianétique mais la Fondation assurera vraisemblablement l'entraînement du personnel que ces gouvernements lui enverront, et elle sera vraisemblablement le conseiller de tous les gouvernements. Mais ne rêvons pas, nous avons dans le Groupe de Dianétique une bien meilleure souricière." (Document scientologique, Bulletin Technique).
Notre culture moderne admet la liberté de pratiquer le lobbying (plus ou moins caché). Nous insisterons donc sur une autre dimension, celle d'un véritable déni du politique.
Ce déni du politique en tant qu'instance délibérative apparaît en effet à un triple niveau :

1) - Le dogme selon lequel la démocratie serait un produit du mental "réactif" :
"Ce point sera naturellement, attaqué comme "impopulaire", "égocentrique" et "non démocratique". C'est très possible. Mais c'est un point de survie. Et je ne vois pas en quoi les mesures populaires, l'abnégation et la démocratie ont fait quoi que ce soit pour l'homme sinon l'enfoncer plus encore dans la boue. A l'heure actuelle, la popularité couronne les romans dégradés, l'abnégation a empli les jungles du sud-est asiatique d'idoles de pierre et de cadavres, et la démocratie nous a donné l'inflation et l'impôt sur le revenu. Notre technologie n'a pas été découverte par un groupe (...) le groupe livré à lui-même n'aurait pas développé la Scientologie, mais avec les folles dramatisations du bank appelées "idées nouvelles", l'aurait anéantie (...) Le dénominateur commun d'un groupe est le bank réactif. Les thétans (...) n'ont en commun que leur bank (...) Aussi les idées constructives viennent-elles d'un individu et reçoivent-elles rarement l'accord général d'un groupe humain. Un individu doit s'élever au-dessus d'une soif obsédante d'approbation de la part d'un groupe humanoïde pour réaliser quelque chose de décent. L'accord de bank est ce qui a fait de la terre un enfer(...)"(HCO, LR du 7 février 1965, republiée le 27 août 1980, corrigée le 12 octobre 1985)
La Scientologie est convaincue que l'autorité d'un chef ne tient pas d'abord à son génie mais beaucoup plus à sa "technologie" qu'elle désigne comme une "présence éthique". Un bon chef n'est pas celui qui sait convaincre ou se faire aimer mais se faire obéir. La "présence éthique" ne correspond donc pas à la notion catholique de charisme. Ce dernier est en effet un "don" octroyé par Dieu pour le service de la communauté. Elle serait plus proche de la notion de grâce dévolue pour le progrès d'une personne. La différence demeure cependant car la "présence éthique" est un construit et non un don. Il suffirait en effet de respecter les directives d'Hubbard pour bénéficier de cette qualité. Le pouvoir trouve donc son origine mais aussi sa légitimation dans une mystification. L'autorité n'est en effet pas dévolue au plus populaire ou au plus savant mais à celui qui se soumet totalement à une série de procédures qui font de lui cet être exceptionnel. Les dirigeants de la Scientologie bénéficient ainsi d'une formation spécifique à l'autorité dispensée par sa section des cadres (Exécutive Training Departement). Ils y reçoivent une formation très poussée à l'obéissance mais aussi au commandement. Ils y découvrent la structure extrêmement complexe et fine du pouvoir scientologique. Les ordres sont transmis à la base par les Chefs des divers organismes indépendants. Les organisations de base ne peuvent élaborer aucune directive ni bien sûr programme. Trois domaines échappent complètement à leur responsable (Commanding Officer) : le bureau d'O.S.A., la section financière et le HCO (Bureau des Communications Hubbard chargé de la discipline et de la gestion des statistiques de la Scientologie). Le "réseau des représentants de FLAG" (FLAG Representative network) a pour mission de s'assurer que les directives sont exécutées de manière conforme par toutes les Orgs. Le représentant de FLAG peut au besoin se substituer à la direction de l'Org locale.

2) - La logique même du système qui tend à substituer de la "Tech" à toute humanité est par essence non démocratique puisqu'elle supprime (la nécessité) du dialogue :
"La Scientologie est un système applicable (...) En cinquante mille ans d'histoire sur cette planète, l'Homme n'a jamais élaboré de système qui marche. Il est douteux que dans un avenir prévisible il en élabore jamais un autre. L'Homme est pris dans un labyrinthe immense et complexe. Pour en sortir, il lui faut suivre le chemin soigneusement jalonné de la Scientologie. La Scientologie le sortira de ce labyrinthe. Mais uniquement s'il suit les marques exactes dans le tunnel" (HCO, LR du 14 février 1965, republiée le 30 août 1980)
La Scientologie se veut une religion de type scientifique découverte par un seul homme. Les moyens de Salut qu'elle met en oeuvre sont du domaine d'une "techno-science". Le contenu de sa doctrine comme ses implications pratiques échappent donc à tout débat. On ne met pas un énoncé scientifique aux suffrages, on ne le soumet pas à la loi du nombre.

3) - La conception scientologique de l'humanité est par nature non fraternelle puisque l'humanité constituerait déjà en elle-même une instance à dépasser et que certains de ses membres seraient des W.O.G., des Préclairs, des Clairs, des pré-OT ou des O.T, etc. On pourrait aussi évoquer le sort des P.T.S. (de divers types) et autres "suppressifs". La "communauté des égaux" se trouve ainsi très réduite et fortement compartimentée. Cette conception de l'humanité débouche sur l'exclusion, y compris juridique :
"(...) toute personne se situant en dessous de 2,0 sur l'échelle des tons ne devrait avoir aucun droit civil dans une société bien pensée, car en abusant de ces droits, elle provoque l'apparition de lois sévères et contraignantes qui oppressent les gens qui n'ont pas besoin de ces contraintes. En particulier, aucune personne située en dessous de 2,0 sur l'échelle des tons ne devrait que ce soit en permanence ou occasionnellement, être témoin ou juré dans les tribunaux, puisque leur position à l'égard de l'éthique est telle qu'elle rend nul tout témoignage qu'elle pourrait donner ou tout verdict qu'elle pourrait rendre" (Extrait de Science de la Survie, traduction -provisoire- communiquée à l'auteur par la Scientologie).
Les gens situés à gauche sur l'échiquier politique se situent en dessous de la barre de 2,0. La Scientologie précise cependant que ces personnes situées en dessous de 2,0 ne devraient pas être privées de leurs droits civiques plus longtemps que nécessaire pour les conduire à un point de l'échelle des tons où leur éthique permettrait de les remettre en compagnie de leurs semblables.

La Scientologie face au politique

La Scientologie se veut officiellement apolitique mais elle marque de fortes préférences. La démocratie est à ses yeux préférable à la dictature mais inférieure au libéralisme. Le socialisme (notamment marxiste) représente la "lèpre" véritable de la société moderne.

1) - Le libéralisme se situe au-dessus de 3,5 sur l'échelle des tons car il correspond à un haut niveau d'éthique. Il accorde en effet une grande importance au droit de propriété. Il reconnaît également des droits spécifiques aux personnes les plus productrices, etc. Cette option politique correspond donc au plus haut niveau de courage du "thêta" libre.

2 ) - La démocratie se situe entre 3,0 et 3, 5. Elle correspond à la croyance dans la bonté de l'homme et dans sa capacité à se gouverner. Elle est néfaste par l'intérêt qu'elle accorde aux questions sociales (assistanat, État-providence, etc) donc anti-productive. Elle tend pour cette raison à développer un conservatisme. Il faudrait éviter de placer à des postes de commandement des personnes de ce type car elles ont peur de blesser les autres, ce qui est une forme de lâcheté, et non une marque de courage ou de vertu. La Science de la survie explique qu'il existe dans la société actuelle une sensiblerie qui a été encouragée par des générations d'hommes littéraires qui avaient seulement en tête d'avoir le maximum d'impact, et les plus grandes ventes possibles pour leurs ouvrages ; c'est une sensiblerie qui fait endurer, tolérer et approuver des gens apathiques (sic).

3) - Le fascisme se trouve entre 2,0 et 1,5 sur le tableau d'échelle des tons. Il est condamnable car il cherche le contrôle absolu d'une zone, à une seule fin destructrice. Il utilise pour cela des moyens brutaux et se trouve de ce fait largement conservateur.

4) - La subversion "rouge" occupe la position la plus basse sur l'échelle des tons (1,1 à 1,3). Le communisme se trouve à 1,1 car il serait moins efficace que le fascisme. Il développe en outre des systèmes d'assistance qui tuent l'initiative privée et la richesse. Il est contraire à l'échange (marchand) donc hostile à la survie sur les huit dynamiques. On trouverait ainsi à ce niveau un ramassis de mensonges malveillants et vicieux. La personne qui se trouverait dans cet état serait incapable de dire la vérité et tricherait. La culture sociale située à 1,2 ou en-dessous ne pourrait donc engendrer que des assistés. Une population type serait même créée de façon à pouvoir la contrôler et l'opprimer :
"Il y a deux solutions pour s'occuper des personnes qui se situent en dessous de 2,0 sur l'échelle des tons, aucune d'elle n'a quoi que ce soit avec le fait de raisonner avec eux ou d'écouter leurs justifications. La première est de les faire monter sur l'échelle des tons en retransformant l'enthêta en thêta (...) L'autre est de s'en débarrasser calmement et sans remords. Les vipères sont des compagnons agréables par rapport aux personnes qui se situent dans les zones inférieures de l'échelle des tons. Ni la beauté, ni le charme, ni les valeurs sociales artificielles ne peuvent excuser les dommages terribles que ces personnes font aux hommes et aux femmes saines d'esprit. Mettre à part d'un seul coup toutes les personnes se situant dans les zones inférieures de l'échelle des tons provoquerait une élévation instantanée du niveau de culture et interromprait la spirale descendante dans laquelle toute société peut se trouver. Il n'est pas nécessaire de produire un monde de Clairs pour obtenir une société raisonnable et valable ; il est seulement néces saire de supprimer toutes les personnes qui se situent à 2,0 et en dessous, soit en les auditant suffisamment pour les amener au-dessus de 2,0 (...) ou en les mettant en quarantaine de la société. Un dictateur vénézuélien a un jour décidé de stopper la lèpre. Il s'est aperçu que la plupart des lépreux de son pays étaient aussi des clochards. Simplement en rassemblant et en tuant tous les clochards du Venezuela, il fut mis fin à la lèpre dans ce pays." (Extrait de Science de la Survie, traduction -provisoire- communiquée à l'auteur par la Scientologie).

Conclusion

Ces trois articles (celui-ci est le dernier, voir La scientologie contre la liberté, La scientologie contre l'égalite)entendaient prouver que si le combat contre les sectes est nécessaire sur le plan individuel (escroquerie, etc), il est aussi nécessaire sur le plan des valeurs. Les sectes que nous combattons sont celles qui menacent l'humanisation de l'homme. Elles constituent dans le contexte actuel de destruction des repères et des identités une machine de guerre contre plusieurs siècles d'humanisme qu'il soit laïc, chrétien, musulman, juif, bouddhiste. La question des sectes ne concerne pas seulement leurs victimes directes mais tous ceux, parents et citoyens, qui rêvent d'un monde humain.
Paul Ariès



Essais sur la Scientologie

Le monde obscur
de la Scientologie

Home Page
Sectes = danger !