IBM, RATP, SNCF, EDF,
Thomson... la liste des entreprises françaises ayant été
en relation avec des sectes est longue et méconnue. Et pour cause personne
n'a envie de travailler avec des sectes : ni les entreprises, ni les salariés,
ni les CE. Mais comment faire ? Ce thème reste secret, les salariés
et entreprises victimes se font rarement connaître, et les ministères
impliqués ne livrent des informations qu'au compte-gouttes. Pourtant, les
sectes, plus ou moins discrètement, s'introduisent dans les entreprises.
L'entreprise est une cible privilégiée des mouvements sectaires,
car elle possède tous les ingrédients pour être courtisée
: de l'argent, du pouvoir et des hommes. C'est par le biais d'organismes de formation,
de conseil et de recrutement que les sectes démarchent les entreprises
d'autant plus
que les sommes en cause sont considérables (environ 40
milliards de francs): Il y aurait entre vingt et trente sectes positionnées
sur le marché de la formation professionnelle ", explique Thomas Lardeur,
auteur de l'enquête Les Sectes en entreprise. Son ouvrage(1), paru en 1999,
a révélé des dizaines de cas de formations dispensées
dans les entreprises par des organismes entretenant des liens sectaires. Par ailleurs,
un rapport parlementaire sur les sectes et l'argent, paru en 1999, a précisé
les rapports financiers qu'elles entretiennent avec des secteurs comme la formation.
Suite à ces enquêtes, ces organismes de
formation ont été identifiés, donc épinglés,
et l'histoire s'est arrêtée là ? Pas si simple. Car personne
ne dispose de réels moyens pour agir contre elles. Ni les pouvoirs publics,
car la définition même d'un mouvement sectaire pose problème
et la notion de secte est inconnue du droit"', ni les groupes de contrôle
de la formation continue, par manque de moyens. Les entreprises, qui ne peuvent
s'en remettre qu'à elles-mêmes, sont confrontées à
l'opacité du marché de la formation pour choisir un organisme. Elles
sont également partagées entre la crainte de se faire infiltrer
et l'obligation de respecter la vie privée des salariés en effet,
un salarié adepte d'une secte qui ne fait pas de prosélytisme à
l'intérieur de l'entreprise ne peut être licencié. Pour éviter
toute controverse, rien n'empêche l'entreprise d'instaurer un code de bonne
conduite dans le règlement intérieur de l'entreprise (il est soumis
à l'avis du CE !) qui précise que le prosélytisme est interdit
à l'intérieur de l'entreprise.
La justice, quant à
elle, manque de recours juridiques pour prouver l'atteinte aux droits des personnes,
même si de nouveaux articles sont venus enrichir le nouveau Code pénal
(voir encadré Agir) et un corps de magistrats spécialisés
fait défaut. Pour compléter ce tableau opaque à souhait,
la secte est une structure mouvante : la majorité des organismes de formation
sectaires cités par le rapport parlementaire de 1999 et par l'enquête
de Thomas Lardeur se sont empressés de disparaître ou de changer
de nom..,
Plus positif, en revanche les biais par lesquels les sectes
pénètrent l'entreprise sont en général connus. Un
salarié adepte d'une secte peut introduire ces idées dans son entreprise
surtout s'il occupe un poste à haute responsabilité. Par exemple,
des scientologues notoires, directeurs commerciaux ou P-d.g de sociétés,
ont ainsi envoyé un grand nombre de leurs collaborateurs suivre des formations
dispensées par d'autres scientologues... Autre exemple, en mars dernier,
la cour d'appel de Versailles a reconnu le caractère " abusif "
du licenciement de neuf commerciaux de l'entreprise Essor licenciés après
avoir dénoncé une infiltration sectaire dans leur entreprise. Selon
ces employés, le directeur d'Essor aurait voulu faire de sa société
" le champ expérimental des méthodes d'une
association de formation (ACC au coeur de la communication) " qu'un
rapport parlementaire désigne comme secte. Tous les spécialistes
s'accordent sur I, le fait qu'il existe peu de cas ', d'entreprises complètement
phagocytées par les sectes.
En revanche, les risques sont réels en ce qui concerne le recrutement et la formation. Les personnes sont alors amenées à se confier, à laisser entrevoir leurs faiblesses. Elles deviennent des proies faciles. Pour l'entreprise, la constitution d'un réseau interne d'adeptes peut s'avérer déstabilisante perte de confidentialité de certaines informations, discrédit vis-à-vis des partenaires...
Préoccupées par la motivation du personnel, les entreprises proposent des stages de développement personnel. Si certaines formations sont efficaces car elles ont un effet sur le développement du savoir-faire et du savoir être professionnel (prise de parole en public, techniques de concentration), que dire de celles qui proposent " un stage visant à découvrir la psychologie des cinq éléments, l'astrologie médicale ". Quel est le rapport entre ces formations et l'acquisition de compétences professionnelles ? Les entreprises proposant ce type. de formations ne mettent-elles pas leurs salariés en danger de manipulation mentale ? C'est là que le danger de faire appel à un organisme de formation lié à une secte apparaît. Il faut en effet savoir qu'un organisme peut avoir des liens sectaires soit par la personne de ses dirigeants, soit par les méthodes de formation qu'il utilise.
Comme
le souligne Thomas Lardeur dans son ouvrage Les Sectes en entreprise "
Dans la plupart des cas, ce sont les salariés qui décident de suivre
le séminaire, à titre individuel. Le prix pouvant alors être
pris en charge par l'entreprise dans le cadre de la formation professionnelle
continue. " La secrétaire d'un CE d'un laboratoire pharmaceutique
qui souhaite garder l'anonymat, a ainsi financé (sur le budget des oeuvres
sociales du CE!) la formation en développement personnel d'une élue
trois ans durant (coût 4 573,47 euros). Si l'appartenance à une secte
de l'organisme de formation n'est pas prouvée car aucun contrôle
ni enquête n'ont été diligentés, le thème des
séminaires suivis par l'élue, comme " Analyse transactionnelle
et sexualité ", montre toutefois que cette formation n'avait pas sa
place dans l'entreprise.
Si certaines sectes utilisent des outils psychologiques et des techniques (analyse transactionnelle, programmation neurolinguistique) qui peuvent être similaires à ceux d'organismes de formation sérieux, il faut éviter tout amalgame. Pas question de procéder à " une chasse aux sorcières ", mais d'inciter les CE (qui sont informés et consultés sur la formation, articles L. 933-1 et L. 933-4 du Code du trav.), ainsi que les DRH à une extrême vigilance dans le choix d'un organisme de formation, surtout dans le domaine du développement personnel, terrain de prédilection des sectes
Les stages axés sur le développement personnel forment le terrain d'action privilé gié des sectes, au risque de déstabiliser durablement certains salariés. |
Les adeptes qui s'aperçoivent de leur erreur portent rarement plainte. Seulement 1 % des victimes auraient recours à la justice. |
La chasse au sectes
Comme le souligne Stéphane Rémy, inspecteur du travail au Groupe national de contrôle de la formation professionnelle, pour se prémunir contre ce risque d'infiltration, " le CE doit avant tout vérifier que la finalité des actions de formation (contenu, contours, objectifs) mises en oeuvre relèvent bien de la définition des actions rentrant dans le champ de la formation professionnelle continue au sens du Livre IX du Code du travail et plus particulièrement des articles L. 900-1, L. 900-2, L. 900-3 et R. 950-4. Par exemple, les actions ayant des objectifs thérapeutiques n'entrent pas dans le champ de la formation continue ". Cela veut-il dire que toutes les actions de formation concernant le développement personnel doivent être bannies de l'entreprise ? Même si la réponse donnée par les différents interlocuteurs de la formation et du gouvernement est plus nuancée, tout porte à le croire une circulaire a été très largement diffusée par la délégation générale à l'emploi et la formation professionnelle en mai 2000, invitant les directions départementales et régionales et les services régionaux de contrôle à " exercer leur vigilance sur les stages de développement personnel qui sont très souvent un moyen privilégié de pénétration du milieu de la formation par les organismes sectaires et ne sont pas susceptibles d'être considérés comme relevant du champ de la formation professionnelle ".
En outre, le projet de loi de modernisation sociale
devrait remplacer la déclaration d'existence que doivent effectuer les
organismes de formation, par une déclaration d'activité, laquelle
permettra aux services de contrôle d'analyser le contenu des formations
(ce qui n'est pas le cas actuellement). Et Stéphane Rémy de préciser
: " Tous les organismes qui proposeront du développement personnel
ne seront pas reconnus comme entrant dans le champ de la formation professionnelle
continue. Nous allons également en profiter pour vérifier la conformité
des activités des organismes déjà déclarés.
" Un grand ménage réalisé parmi les organismes de formation
devrait éliminer la plupart des sectes mais pas la Scientologie, précise
Thomas Lardeur, car elle propose des formations classiques (cours d'anglais ou
de communication), qui entrent dans le champ de la formation continue. Le Wise
(World Institute of Scientology Enterprises) c'est un réseau de près
de deux mille cinq cents entreprises dans le monde, qui " oeuvrent à
faire émerger une nouvelle civilisation ". En France, on dénombre
cinquante et une sociétés dont une majorité est positionnée
dans le conseil, la formation, le recrutement, le coaching, l'informatique. Les
entreprises qui veulent éviter de travailler avec des sociétés
scientologues n'ont pas d'autre choix que de réagir dans l'urgence.
La
vigilance du CE
Les CE doivent mener une petite enquête lorsqu'ils sont
consultés sur le choix d'un organisme de formation. D'autant que le marché
de la formation ne cesse de s'atomiser et de s'opacifier avec la multiplication
des " dispenseurs de formation ". Cela résulte de la facilité
actuelle à créer un organisme de formation: il suffit de se déclarer
à la préfecture de la région et d'envoyer chaque année
un bilan pédagogique et financier. De même les offres de formation
sont très difficiles à évaluer. Le contenu explicite du cours
peut tout à fait être anodin et conforme aux pratiques professionnelles
traditionnelles. La plupart des grandes organisations sectaires utilisent des
noms d'emprunt. Les démarches qualité et normes mises en place par
les différents acteurs de la formation représentent une garantie
supplémentaire, mais sont insuffisantes. Seuls 700 organismes de formation
ont été labellisés OPQCF... sur les 60 000 déclarés
! Des organismes comme le CCMM (Centre de documentation, d'éducation et
d'action contre les manipulations mentales) et l'ADFI (voir encadré Pour
Agir)
POUR AGIR - Comment se défendre
|
peuvent vous aider en cas de doute sérieux sur un organisme de formation.
Les services régionaux de contrôle de la formation professionnelle
pourront vérifier si l'organisme est déclaré et vous donner
un avis sur la conformité du programme de formation. Par ailleurs, la
Mils (mission interministérielle de lutte contre les sectes) a notamment
pour but d'informer le public sur les dangers potentiels de leurs méthodes.
Dans son rapport 2000, la Mils évoque d'autres secteurs vulnérables
à l'infiltration (les séjours linguistiques pour enfants...).
Les CE doivent se le tenir pour dit: vigilance et suivi sont de mise, aussi
bien pour le choix d'un organisme de formation, de séjour linguistique,
ou même d'un fonds de placement éthique... car sans tomber dans
la paranoïa les sectes sont bel et bien parmi
nous !
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(1) " Les Sectes en entreprise. l'enquête ", Éditions
d'organisation.
(2) L'articie 10 de la Déclaration des droits de l'homme stipule que
" Nal ne doit être inquiété pour ses opinions, même
religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public institué
par la loi ".
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