Chine : Falungong

Le Falun gong, ennemi n°1 du pouvoir chinois

Les fils du Lotus Blanc

(Source, Sciences et Avenir janvier 2002 - N° 659 - Découvrir
par Bernadette Arnaud)

Introduction
Le nouvel opium du peuple
Une secte messianique
Les invulnérables pugilistes
L’apocalypse selon Li Hongzhi
Quand les Taiping faisaient trembler l’Empire

 


Introduction

Héritier de l’ancien Lotus Blanc, le Falun gong - 70 millions d’adhérents - s’inscrit dans la tradition de ces mouvements millénaristes dont les violentes révoltes, au long de l’histoire chinoise, ont précipité plus d’une dynastie dans la chute.

Alors qu’Oussama ben Laden est l’homme le plus recherché du monde, Li Hongzhi, fondateur du mouvement Falun gong, est celui sur lequel le Dragon Céleste aimerait bien refermer ses griffes acérées. Et le rapprochement est loin d’être excessif. Depuis 1999, en effet, un mandat d’arrêt international a été lancé contre cet ancien fonctionnaire chinois, aujourd’hui en exil à New York.

La méthode qui lui a valu tant de succès auprès de la population chinoise, et d’hostilité de la part du régime, prône la pratique du qi gong. Des exercices physiques millénaires, accomplis sur un fond de méditations taoïste et bouddhiste, qu’alimente un discours aux forts accents messianiques.

Au détour de la décennie 80, qui fut en Chine celle de la renaissance de tous les groupes religieux, le qi gong connut un véritable engouement. Après avoir été interdites sous le règne de Mao, plusieurs variétés de cette méthode immémoriale se répandirent dans la population: le xiang gong (l’énergie parfumée), le he xiang zhuang (le vol des cygnes) ou encore le falun gong (roue de la loi).

Le nouvel opium du peuple

Le succès phénoménal rencontré par ce mouvement, officiellement baptisé «Société de recherche du Falun dafa», (c’est-à-dire des «frères de la loi») est si important que ses adhérents seraient environ 70millions. Un groupe en majorité constitué par la myriade de laissés-pour-compte de la nouvelle économie chinoise. Entre 1997 et 2000, 45millions de personnes ont perdu leur emploi. Ces sacrifiés au culte du veau d’or ont, semble-t-il, été très sensibles au discours d’un mouvement qui leur promettait, grâce à la pratique de simples exercices physiques, une bonne santé et le salut de l’âme. « Au départ, le mouvement Falun gong, ou Falung dafa, a été fortement encouragé par le pouvoir central. Celui-ci y voyait une espèce d’opium, de panacée qui canalisait tous les malaises urbains. En 1992, il a même été officiellement reconnu comme institut par l’administration sportive d’Etat», précise la sinologue Marie Holzmann, enseignante à l’université Denis-Diderot (Paris-VII). Des propos que confirme Yves Chevrier, directeur du Centre d’histoire de la Chine contemporaine à l’Ecole des hautes études en sciences sociales: «Au lendemain des événements de Tien Anmen, en 1989, pour essayer de couper les racines de la pensée démocratique, le régime a sciemment encouragé les activités traditionnelles, les arts martiaux, comme le qi gong».

Mais aujourd’hui, une impitoyable répression s’est abattue sur le mouvement. «Arrestations arbitraires, tortures, internements abusifs en hôpital psychiatrique. L’Institut Falun gong est interdit depuis le 22 juillet 1999. Il a été frappé des idéogrammes "secte", "culte pervers", et depuis le mois de septembre 2001, juste avant les événements de New York, classé mouvement terroriste. Il ne se passe pas une journée sans que l’on apprenne le décès d’une personne en camp de rééducation», poursuit la spécialiste.

Le point de non-retour semble être atteint le 25 avril 1999, quand 10000 personnes se réclamant de cette association encerclent pacifiquement le bâtiment du Zhongnanhai, centre névralgique du Parti communiste, à Pékin. La manifestation est perçue comme un véritable camouflet par les autorités. Non seulement les services de renseignements n’ont rien vu venir, mais surtout, le Falun gong démontre d’inquiétantes capacités d’organisation. Autant dire qu’il signe son arrêt de mort, au pays de la paranoïa institutionnalisée. L’attitude du régime se radicalise encore après les événements tragiques du 23 janvier 2001 où, la veille du Nouvel An chinois, cinq disciples du Falun gong s’immolent par le feu sur la place Tian Anmen.

Les dirigeants chinois, qui connaissent leur histoire, savent que, par le passé, plusieurs dynasties impériales ont été balayées par des mouvements semblables. Des sectes millénaristes mystico-religieuses, irrationnelles et puissantes, conduites par des illuminés promouvant le retour à la pureté de la société chinoise, et surtout le rejet de tout ce qui pouvait venir de l’extérieur, à l’exemple du Lotus Blanc.

Une secte messianique

Avec un nom évoquant les Aventures de Tintin ou les 55jours de Pékin, la secte du Lotus Blanc, le Bailian, est à l’origine de la première grande rébellion chinoise. Cette société secrète, dont les racines plongent dans les profondeurs du XIVe siècle, figure parmi les groupes religieux les plus puissants qu’ait connus l’Empire du Milieu. Elle prend une ampleur considérable à la fin du XVIIIesiècle au moment où la Chine sort de son âge d’or. Après une période de prospérité et de paix, la dynastie Qing doit affronter une série de crises économiques et sociales. Des troubles graves éclatent, et la secte du Lotus Blanc, que dirige un petit fonctionnaire adepte du kung-fu, Wang Lun, fera chanceler le pouvoir mandchou.

Ce mouvement de grande ampleur est né dans la vallée du Yangsté, au cœur de la Chine Han (l’ethnie majoritaire, en Chine, les Chinois proprement dits). «Il s’agit typiquement d’une secte messianique, avec la croyance en un sauveur du monde et un message baignant dans un synchrétisme de taoïsme et de bouddhisme, agrémenté d’éléments de manichéisme», poursuit Yves Chevrier. Des éléments semblables à ceux que l’on retrouve en filigrane dans le mouvement Falun gong, puisque Li Hongzhi se présente comme un sauveur du monde. Comme pour le Lotus Blanc, il développe une méthode mystico-religieuse aux accents d’apocalypse ou l’on trouve, mêlées, décadence morale de l’humanité, destruction imminente du monde, le tout sur fond de taoïsme et de bouddhisme avec des références constantes à la Blancheur et la Noirceur…

De 1795 à 1803, les activités du Lotus Blanc engendrent elles aussi une formidable répression. Une répression qui, en fin de compte, cristallise le mouvement. Il faudra plusieurs années pour en venir à bout… Mais l’éradication de la secte ne sera que partielle, car renaissant de ses cendres, tel un phénix, surgira moins d’un siècle plus tard, la secte des Boxers– en français, les Boxeurs.

Les invulnérables pugilistes

La secte des Boxeurs, Yihequan ou « Poings de Justice et de Concorde », doit son nom aux curieux exercices de gymnastique auxquels se livrent ses disciples et que les étrangers des Légations prennent pour des entraînements de boxe. Ces « pugilistes », émanation du Lotus Blanc dont ils se réclament les fils spirituels, pratiquent donc le qi, censé leur conférer des pouvoirs surnaturels : voler ou se retrouver en différents lieux au même moment. Fondé vers 1770 dans la province du Shandong, ce mouvement provoque une insurrection en 1898. Très xénophobe, il se développe autour d’un programme politique antichrétien et anti-étranger qui rencontre un écho favorable auprès des élites de la cour des Qing. Conduisant à un rapprochement inédit entre un mouvement rebelle et une dynastie en place.
Ainsi, en 1900, après s’être alliée aux Boxeurs, l’impératrice douairière Cixi déclare la guerre aux grandes puissances. La révolte qui suit, d’une rare violence, est surtout dirigée contre l’influence étrangère en Chine. Les Boxeurs reprochent en effet aux « Barbares roux » de détruire le tissu social. « Le pouvoir en place avait joué la carte traditionaliste et claqué la porte à la modernisation et à tout
ce qui était étranger. Il était convaincu que la masse de la Chine, sa population et ses croyances seraient suffisantes pour la préserver », explique Yves Chevrier. Mais ce mouvement est si traditionaliste qu’il ne prend même pas la peine de moderniser son armement. Convaincus de leur invulnérabilité grâce à la pratique du qi, les Boxeurs se rendent au combat la poitrine découverte : aucune balle ne peut les traverser. Ils luttent à poings nus ou munis de quelques vieilles rapières. Cette notion d’invincibilité est d’ailleurs récurrente dans les mouvements chinois : en janvier 2001, lors de l’immolation des cinq membres du Falun gong, certains témoins s’attendaient à voir leurs frères « monter au paradis, sans souffrir, dans un nuage de fumée blanche ».

Après que les Boxeurs eurent massacré les chrétiens des missions étrangères et attaqué les Légations, les nations occidentales répondent par l’invasion des cités impériales de Tientsin et de Pékin. La révolte est écrasée par un corps expéditionnaire international. La Chine est condamnée à payer des indemnités exorbitantes, hâtant ainsi l’effondrement des Qing.

Aujourd’hui, certains observateurs estiment que le mouvement Falun gong est presque éradiqué. D’autres, que ses adeptes se comptent toujours par millions. Quoi qu’il en soit, la fulgurance de son succès traduit surtout les changements profonds que connaît la société chinoise contemporaine. Tout au long du XXe siècle, la Chine aura subi deux révolutions, des guerres d’invasion, des guerres civiles, des purges et des « bonds en avant ». Dans cet empire, qui compte le cinquième de la population mondiale, des millions de personnes aspirent à un « réenchantement ». Un besoin de spiritualité. Or ce pays en pleine mutation, qui joue la carte du prestige en accueillant les JO de 2008, est aussi le théâtre d’une course à l’argent, de réformes économiques imposées dans un environnement de corruption endémique, sacrifiant dans son sillage des millions de personnes. Autant d’éléments détonants pour un cocktail qui, « combiné à l’activité millénariste d’une secte, pourraient être explosifs pour une sortie spectaculaire du régime communiste », écrit l’historien Alexandre Adler. Un régime qui ne retrouve plus ses petits et pourrait bien, à vouloir étouffer le Falun gong sous une violente répression, contribuer à sa propagation, et nourrir en son sein des fils du Lotus Blanc.

L’apocalypse selon Li Hongzhi

La base du Falun gong, le qi gong, est une sorte de culture physique vieille de 2000 ans, revue et corrigée par maître Li Hongzhi. En quelque sorte, c’est la maîtrise du corps par la maîtrise du souffle (ou le contrôle du qi). Le Falun (Roue de la loi) est implanté (par télépathie) dans l’abdomen de ceux qui veulent cultiver leur énergie... L’activation de cette roue invisible aspire les bonnes énergies et rejette les mauvaises, conduisant finalement à l’illumination. A un stade avancé de la pratique, écrit Li Hongzhi, il est possible d’acquérir des pouvoirs surnaturels. D’ailleurs le maître ne vole-t-il pas?

De plus, au travers d’une lecture très particulière de l’histoire des religions et de la science, Li Hongzhi développe une vision apocalyptique du monde. Selon lui, nous sommes entrés dans une ère de grand déclin, et les anciennes révélations – Bouddha, Jésus ou Mahomet – ne «valent plus tripette». Le monde a donc besoin d’un nouveau maître, et il se verrait assez bien dans ce rôle.

Précisons au passage que, depuis le début du XXe siècle, les extraterrestres ont pris le contrôle de la planète…

Quand les Taiping faisaient trembler l’Empire

Un siècle après le Lotus Blanc, au milieu du XIXe siècle, une autre secte va embraser la Chine. Il s’agit des Taiping, les fameux Turbans jaunes. Un homme du nom de Hong Xiuquan, sorte de Robin des Bois local, prétend être un messie et promet l’avènement du «Royaume céleste de la Paix suprême». En fait, il entraîne l’Empire du Milieu et le pouvoir mandchou dans un véritable bain de sang. A la fin des années 1840, la secte des « Adorateurs de Dieu » prend pied dans les collines du Guangxi, en Chine méridionale. Sa doctrine enflamme cette province peuplée de paysans hakka, venus de la Chine du Nord plusieurs siècles auparavant.

Entre 1850 et 1864, le mouvement Taiping, qui prêche une étrange mixture faite de millénarisme et d’une forme confuse de christianisme, va conduire à une violente insurrection, au nom de la Grande Paix, et mettre sérieusement en difficulté le pouvoir des Qing, déjà ébranlé par les guerres de l’opium. En l’espace de quelques années, l’armée Taiping prend la Chine en écharpe, traverse les provinces du Guangdong, du Hunan et du Hubei, pour se retrouver dans la région du bas Yangsté où elle conquiert Nankin en 1853. Dix années seront nécessaires pour venir à bout de la résistance des insurgés, qu’une répression sauvage anéantira en 1864. Les Taiping déclencheront la plus meurtrière des guerres civiles qu’ait connue la Chine, et qui fera vingt millions de morts !
------------------------------

Pour en savoir plus

• «La doctrine de Li Hongzhi», David Palmer, Perspectives chinoises, n° 64, avril 2001.
• « La Chine au miroir de Falun gong », Benoît Vermander, Perspectives chinoises, n° 64, avril 2001.
• Le Volcan chinois, Ursula Gauthier, éditions Denoël.
• Courrier international, n° 536, février 2001.
• Le Nouvel Observateur, 11 août 1999.