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[Texte intégral]
Organisme élu, le conseil de l'éducation du Kansas a adopté, mercredi 11 août, de nouveaux critères pour l'enseignement des sciences qui, de fait, empêchent l'enseignement de la théorie de l'évolution. En dépit de l'opposition des enseignants et des universités, ils ravalent la science darwinienne au rang d'hypothèse plus ou moins fantaisiste et donnent droit de cité au "créationnisme", selon lequel le monde a été créé par Dieu en sept jours, comme on peut le lire dans la Genèse. Trois quarts de siècle après le procès de Clarence Darrow, immortalisé au cinéma en 1960 avec Spencer Tracy, obscurantisme et bigoterie se portent encore bien aux États-Unis.
Le gouverneur de cet État du Middle West a cependant fait connaître son opposition. Plusieurs tribunaux ont condamné les tenants du créationnisme, considérant que celui-ci n'était pas scientifique mais religieux et que leur activisme contrevient au principe de laïcité.
Néanmoins, État après État, les fondamentalistes mènent l'offensive. Faisant de l'entrisme dans les organes élus, ils tentent d'imposer leur dogme dans un pays où les programmes scolaires sont du ressort des autorités locales. Ainsi, en Alabama, les livres de sciences doivent indiquer que l'évolution est une "théorie controversée". "Personne n'était présent quand la vie est apparue, aucun point de vue sur ses origines ne peut être considéré comme un fait mais seulement comme une théorie" peut-on y lire.
Les tenants de ce nouveau fanatisme affirment que le créationnisme est une science plus viable que l'évolution. Dans la foulée, ils accusent les chrétiens évolutionnistes d'avoir trahi la Bible "en prolongeant les sept jours de la Création en des millions d'années". Sept jours, c'est sept jours, pas une heure de plus! "On devrait faire une loi contre l'évolution" déclare l'Association pour la Création du Missouri, pour qui la création est "le postulat selon lequel, il y a quelques milliers d'années, l'univers, le système solaire, la Terre et les espèces végétales et animales ont été conçus par un processus spécial et créateur qui n'est plus en vigueur aujourd'hui. Les variations biologiques qui ont eu lieu depuis la création originale ont été restreintes dans la limite de chaque espèce créée". "Au commencement, Dieu a créé le Ciel et la Terre, c'est aussi simple que ça, poursuit-elle. Comment les Chrétiens évolutionnistes qui veulent adapter les Écritures à cette théorie ridicule peuvent-ils croire aux textes sacrés s'ils rejettent une partie de la parole de Dieu?".
Ces affirmations ne sont pas que des mots. Nombre d'enseignants se plaignent d'agressions verbales d'élèves qui disent ne rien croire de leur enseignement, tout comme de parents qui exigent que leurs rejetons soient élevés dans la bonne parole "créationniste". Certains ont peur pour leur carrière. D'autres craignent qu'après une telle éducation, ces jeunes soient incapables de poursuivre des études scientifiques à l'université. C'est bien le moindre des soucis de ces nouveaux croisés qui pensent encore que les dinosaures sont apparus sur terre en même temps que l'homme, et que le soleil a été créé après la terre.
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Au Kansas, la Commission de l'éducation a récemment décidé d'éliminer des programmes de l'enseignement public toute allusion à l'évolution biologique et à l'âge de notre planète. C'est la dernière péripétie d'une guerre séculaire menée contre les sciences naturelles, par une mouvance religieuse fondamentaliste particulièrement visible aux Etats-Unis. Depuis, longtemps, les créationnistes s'opposent à l'enseignement de l'évolution au nom d'une lecture littérale du récit de la Genèse, lecture unanimement rejetée, non seulement par les scientifiques mais aussi par les esprits religieux cultivés. Comment se fait-il que les Etats-Unis, première puissance mondiale sur le terrain de la recherche biologique et de ses applications, s'offrent un tel psychodrame obscurantiste ?
Le Kansas est plat. Sur le plan géographique, c'est incontestable. Mais c'est faux sur le plan intellectuel. Le Kansas a six universités publiques, souvent de bon niveau, et cette décision suscite d'ores et déjà une levée de boucliers. Le gouverneur du Kansas, pourtant républicain d'origine rurale, s'est exprimé sur la décision de la Commission d'Education en ces termes : "une solution tragique, terrible, embarrassante, à un problème qui n'existait pas". On s'attend d'alleurs à ce que certaines écoles résistent à cette directive et continuent à enseigner la science mal pensante.
Cet événement ne doit pas obligatoirement évoquer
l'image d'Epinal d'une Amérique profonde abrutie par des prêcheurs
incultes. Aujourd'hui, le créationnisme est devenu un phénomène
urbain et middle-class, et si de telles crétineries ont pignon sur
rue, c'est qu'elles trouvent des, alliés dans l'air du temps. C'est
par exemple le relativisme vulgaire, pour qui "tout se vaut": si la science
n'est qu'une religion parmi d'autres, alors, à tout prendre, autant
laisser les parents et les enseignants décider souverainement quelles
croyances inculquer auxenfants. Au besoin, on convoquera à l'appui
de cette vision l'idée pseudo-démocratique selon laquelle
le peuple a toujours raison sur tout.
D'ailleurs, cette tolérance au "n'importe quoi" va souvent de
pair avec un positivisme bébête pour lequel il n'y a que les
faits qui comptent. Surtout pas de théories ou d'interprétations
générales ! Selon un manuel de biologie adopté en
Alabama sous la pression des créationnistes, "personne n'était
là au moment de l'apparition de la vie sur terre, donc toute affirmation
sur les origines de la vie relève de la théorie, non des
faits" (d'ailleurs, l'école n'est-elle pas là pour enseigner
des faits, si possible utiles, et des compétences, si possibles
monnayables ?). Or c'est là se tromper à la fois sur ce que
sont les faits, les théories et la science moderne.
L'évolution est à la fois un fait historique et un cadre conceptuel qui intègre d'innombrables données des sciences de la nature. La démarche scientifique n'est pas une simple accumulation de "faits bruts" et il n'y a pas de science digne de ce nom qui n'élabore et utilise des cadres théoriques généraux. C'est souvent par ce biais que la science se rattache à la culture de notre époque et qu'elle l'interpelle. Mais plutôt que de voir dans la science une composante importante et critique de notre culture, il est évidemment plus confortable de la réduire à une collection de savoirs instrumentaux et technologiques.
Ces préjugés ne sont pas réservés aux cercles religieux sectaires, ni au Middle West américain. Se pourrait-il que cette affaire nous concerne aussi ?
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