BULLES a souvent eu l'occasion de montrer comment des organisations
"sectaires " s'introduisent sous des masques divers, séduisants
au premier abord, et cela particulièrement dans les pays où
elles ne sont pas encore connues. Le masque humanitaire est un des meilleurs
exemples. Nous avons déjà décrit comment
la Scientologie, en Russie, exploitait le malheur d'enfants de Tchernobyl,
gravement atteints par les radiations, pour faire sa publicité,
tout en les endoctrinant. En Roumanie, une organisation très différente, d'origine
indienne, ANANDA MARGA (1) a mis la main sur des orphelins, nombreux et
en grande détresse dans ce pays. Le texte qui suit est le résumé
d'une communication présentée par M. Gheorghe Samoila lors
du séminaire du Dialog Center en juillet 1995 à Skade (Danemark). Une traduction en allemand a été publiée dans
la revue "Berliner Dialog" (N° 2, automne 1995).
Ananda Marga (en français : Le chemin du bonheur) est une
secte hindouiste, fondée par Prabahat Ranjana Sarkar, comptable
dans les chemins de fer indiens (né en 1921). La doctrine de Sarkar
mêle les théories spirituelles et les buts socio-politiques
: les systèmes actuels doivent être détruits et remplacés
par la domination des Sadvipras (moralistes). Autres noms : PROUT
(Progressive Utilisation Theory), RU (Renaissance Universal), ...
Sarkar est révéré par ses disciples sous le nom de
Sri Sri Anandamurti. Il fait pratiquer le yoga tantrique. La structure
de la secte est très hiérarchisée et autoritaire ;
elle exige la stricte observance de pratiques indiennes. En France, ANANDA
MARGA s'est installée dans des ferries sous prétexte d'agriculture
biologique; certains jeunes recrutés ont été emmenés
en Suède; la secte n'a guère fait parler d'elle depuis plusieures
années et elle n'est pas mentionnée dans le Rapport de la
Commission parlementaire, mais elle existe toujours.
Le paysage roumain des sectes
Jusqu'à la chute du communisme en 1989, seules étaient actives
en Roumanie des sectes issues du protestantisme ou de l'orthodoxie. Confrontées
à une persécution rigoureuse, celles-ci (par exemple les
Témoins de Jéhovah, l'Armée de
Dieu et quelques "nouvelles sectes") agissaient dans le secret. Une exception
: la Méditation Transcendantale, apparue dans
les années 80, avait recruté au sein de l'intelligentsia
roumaine ; elle a été interdite par Ceaucescu lui-même.
Aujourd'hui, les sectes prospèrent en Roumanie. Nous pouvons y rencontrer
toutes les organisations venues de l'Ouest ou par l'Ouest, plus quelques
autres : dissidences de l'église orthodoxe roumaine, annonçant
une apocalypse imminente. Mais nous ne disposons actuellement d'aucune
statistique sur le nombre de ces organisations ni de leurs adeptes, ni
sur leur répartition sur le territoire roumain.
Ces organisations opèrent dans notre pays sous le couvert d'associations
culturelles ou charitables, déclarées et protégées
par la loi. Les dirigeants de ces associations proposent des secours, des
séminaires philosophiques, des rencontres culturelles, etc. Beaucoup
de ces activités se déroulent dans des Universités,
des Maisons de la Culture ou dans des salles prestigieuses. Si la nouvelle
Constitution roumaine garantit à chaque citoyen le droit de s'associer
pour créer et pratiquer la religion de son choix, cette liberté
n'est pas assortie du droit de s'informer sur qui est une secte; du moins
les citoyens n'ont-ils aucun moyen d'en user. Financées de l'étranger,
les sectes ont envahi le marché du livre, avec des titres aux prétentions
universitaires. Les Roumains sont spécialement attirés par
les sectes indiennes, les écoles de yoga qui font leur publicité
dans la presse, à la radio et la télévision, privée
ou publique. Il n'existe en Roumanie aucun moyen d'information sur ces
groupes, en dehors de leur
propre publicité.
Les conditions de vie atroces dans les orphelinats roumains ont été
révélées après 1989, mais le nombre d'enfants
abandonnés ne diminue pas. En décembre 1989, de nombreuses
organisations étrangères ont offert leur aide en faveur de
ces enfants ; toutes, sans distinction, ont été reconnues
officiellement par le gouvernement. Parmi elles : AMURT-Suisse ("Ananda
Marga Universal Relief Team", Équipe universelle de secours d'Ananda
Marga), reconnue le 24 juillet 90 par décision du Tribunal de Bucarest
(N° 1920) sous le nom d'AMURT-Roumanie. Une lettre officielle du 10
mai 94 a autorisé AMURT-Roumanie à diriger deux écoles
(avec internats) à Domnesti, non loin de Bucarest, et à Panatau
(district de Buzau) ainsi que deux jardins d'enfants à Bucarest,
dont l'un s'appelle "Aurore".
L'Affaire Josif Mina
En décembre 1993, la Ligue Roumaine pour la Défense des Enfants
(LDCR) a révélé que Josif Mina,un jeune garçon
atteint d'hépatite chronique, qui était soigné dans
un hôpital public de Iasi, avait été transféré
à l'orphelinat d'AMURT à Panatau. Selon la LDCR, le transfert
avait été opéré illégalement, à
l'aide de documents falsifiés et grâce à quelques pots-de-vin
versés à des fonctionnaires par des adeptes roumains d'Ananda
Marga. La LDCR a protesté auprès des autorités compétentes,
et entrepris une enquête sur le cas de Josif Mina, ainsi que sur
AMURT et Ananda Marga en général. Cette enquête a révélé
que le traitement du jeune malade avait été supprimé
et remplacé par des soins "holistiques", dits aussi "homéopathiques",
associés à un régime strictement végétarien.
Et surtout, il était obligé de participer à des séances
de "méditation tantrique".
Plusieurs membres de la LDCR se sont rendus à l'improviste dans
un jardin d'enfants d'AMURT. Ils y ont trouvé plus de vingt-cinq
enfants de moins de sept ans, assis par terre en cercle, en posture de
yoga, fixant la flamme d'une bougie et répétant un mantra
en sanscrit. Josif a confirmé qu'il était obligé de
répéter des formules dans une langue qu'il ne comprenait
pas. Maintenant, au bout de deux ans de ce régime, il est totalement
inféodé à l'organisation AMURT et aux règles
d'Ananda Marga. La méditation est obligatoire pour tous les enfants
à partir de cinq ans. Pour donner le change, les orphelins de Domnesti
sont emmenés le dimanche aux offices religieux orthodoxes à
l'église du village ; certains sont même baptisés par
le curé de la paroisse.
Ce que sont l'AMURT et Ananda Marga
Sur un plan général, la LDCR a réuni des informations
sur Ananda Marga en particulier auprès de la police régionale
de Zurich, en Suisse, des centres d'information du Dialog Center à
Aarhus (Danemark) et de l'UNADFI à Paris.
Elle s'est ainsi rendu compte qu'Ananda Marga est une secte dangereuse,
dont le fondateur et chef a été condamné en Inde pour
meurtres (lors d'un changement de majorité, il a réussi à
se faire libérer "faute de preuves"), accusée de terrorisme
international dans plusieurs pays. Un certain nombre de disciples se sont
immolés par le feu. Le mode de vie est extrêmement réglementé
et autoritaire, imposant de nombreuses pratiques de l'hindouisme le plus
strict.
Une campagne d'information
À la suite des révélations du LDCR, une campagne d'information
s'est développée dans une partie de la presse roumaine; la
LDCR a informé l'UNICEF, le Conseil de l'Europe, le Comité
des Nations Unies pour les Droits de l'Homme, ainsi que Défense
des Enfants International à Genève, etc., en se référant
à l'article 14, points 1 et 2, de la Convention des Nations Unies
sur les Droits de l'enfant (liberté de pensée, de conscience
et de religion). Entre autres, la presse a révélé
que les affiches demandant de l'argent, en Suisse et en Allemagne, ne mentionnaient
ni Ananda Marga, ni AMURT, mais étaient signées par une association
"La Vie pour tous", qui n'existe pas. La photo de Josif Mina était
exploitée pour la publicité de l'orphelinat de Panatau (Opinia,
Iasi, 23 / 09 / 94 ; Romania libera, Bucarest, 07/09/94, etc.). Le 11 mars
95, la télévision nationale roumaine a diffusé la
photo d'un membre d'AMURT, accusé d'escroquerie aux dépens
de nombreux citoyens. Le commentaire ajoutait : " AMURT est une branche
d'une secte dangereuse de terrorisme international ".
L'AMURT réagit
Les nombreuses révélations ont ralenti l'expansion d'AMURT
en Roumanie. Mais cela n'est pas sans danger pour le petit groupe de citoyens
qui a essayé de réagir.
P. Bhola Sha, patron d'AMURT en Suisse, a convoqué une conférence
de presse en Roumanie. Tablant sans doute sur l'ignorance des Roumains,
il s'est attaché à démontrer qu'AMURT ne fait pas
partie d'une secte, mais n'a réussi qu'a faire rire le public (24
ore, Iasi, 31/10/94). À la suite de quoi, cette "association charitable"
s'est mise à envoyer des lettres diffamatoires aux journaux et à
diverses organisations, à la police, dénonçant de
prétendues violences commises par la LDCR (Jurnalu national, Bucarest,
15/11/94).
En juin 94, AMURT a déposé une plainte contre la LDCR
pour diffamation, réclamant des dommages et intérêts
pour l'équivalent de 3.000 $, pour préjudice moral (somme
énorme en Roumanie, où le salaire moyen équivaut à
60-80 $ par mois). Le procès est toujours en cours. AMURT s'est
abondamment vantée de tout le bien qu'elle aurait fait en Roumanie,
pour les orphelins, comme par ses cours de médecine "parallèle",
y compris dans les Universités. Elle fait état de nombreuses
lettres de remerciement venues d'Afrique (l'une est signée de Nelson
Mandela !), de Russie, de Croatie, etc. Et, bien entendu, elle affirme
respecter la liberté des enfants et les Droits de l'homme en général.
Sachant qu'elle a beaucoup d'argent et peut par conséquent corrompre
presque tout le monde, dans un pays pauvre comme la Roumanie, on comprendra
aisément qu'il n'est pas facile de l'affronter, malgré tous
les faits décrits plus haut. Nous n'avons pas en Roumanie de centre
de recherche sur les sectes comme dans les pays d'Europe de l'Ouest. Nous
nous sommes adressés à des associations d'autres pays, mais
les réponses se font attendre. (Heureusement, la documentation transmise
par l'UNADFI et le Dialog Center d'Aarhus, entre
autres, nous a été très utile pour présenter
le problème dans son ensemble).
Le danger des sectes
Il ne faut pas ignorer le danger que représentent les "sectes" pour
l'avenir, si aucune information sérieuse n'est faite. Dans le cas
d'AMURT, qui ne voit que ces orphelins, soumis dès leur jeune
âge au conditionnement exclusif d'Ananda Marga, privés de
toute attache familiale, donc totalement endoctrinés, pourront être
"lâchés" non seulement sur la Roumanie, mais dans d'autres
pays pour pratiquer un recrutement intensif ? Craignons aussi que cette
exploitation abusive du "charity - business" ne pousse les autorités
roumaines à refuser toute aide pour les orphelins, alors que les
besoins sont si urgents. Et n'oublions pas que derrière cette façade
humanitaire, Ananda Marga a révélé son vrai visage
en Australie, en Nouvelle Zélande, et ailleurs - et d'abord en Inde.
Gheorghe Samoila (IASI, Roumanie)
(Traduction et sous-titres de la rédaction de Bulles)