L’emprise sectaire, la mise en état de sujétion ont progressivement remplacé dans le vocabulaire des associations de victimes et dans le vocabulaire juridique ou administratif la « manipulation mentale ». Celle-ci faisait trop clairement référence aux méthodes nord-coréennes ou chinoises pendant la Guerre Froide. De plus, les psychologues ont beaucoup avancé sur la notion d’emprise perverse ou de harcèlement moral. On peut se référer notamment aux travaux de Kaës, Diet, Irigoyen ou Monroy.
Nous avions proposé avec Michel Monroy la métaphore de l’embrigadement, qui nous semblait intéressante, car elle fait référence à une démarche initialement «volontaire» dont on ne mesure pas les conséquences. Les sergents recruteurs attiraient les jeunes gens par des promesses accompagnées de libations. La suite pouvait les amener à regretter leur engagement... La comparaison s’arrête là, car dans ce cas précis on ne mettait pas en oeuvre une transformation psychologique garantissant un acquiescement durable : la contrainte suffisait. Le grand art de l’embrigadement moderne consiste à construire par des méthodes sophistiquées un acquiescement durable, progressif et extensif.
Il existe des degrés dans ce que l’on peut souhaiter obtenir de quelqu’un : un comportement ponctuel, le partage d’une opinion, son adhésion, son désir, l’acceptation de s’engager, une soumission volontaire à des règles, une confiance, une passivité jugée utile. Pour obtenir ces premiers résultats, éducateurs, commerciaux, politiques, amoureux et croyants s’emploient avec plus ou moins de réussite. Le problème se complique si l’on veut obtenir, hors contraintes visibles, une participation active, des prestations coûteuses et durables, l’entrée dans un processus de transformation, des initiatives dans le sens recherché, une disponibilité totale, une soumission sans réserve et à la limite un dévouement fanatique abolissant toute autre référence. Il faut alors obtenir impérativement non seulement un acquiescement initial qui engagera peu, mais un enchaînement d’acquiescements successifs qui apparaîtront au sujet comme des choix.
En fait, le sujet donne son accord à une procédure, mais il a une méconnaissance de la nature du processus de transformation qu’il va connaître, du résultat final de cette transformation et aussi des finalités des maîtres du jeu. Le développement actuel des psychotechniques permet cette construction d’acquiescements successifs avec la participation du sujet.
Nous aimons nous croire souverainement libres, dans le cadre des contraintes sociales, bien sûr. Mais en deçà du moment de chaque choix que nous faisons, il est intéressant de se pencher sur les déterminants de ces choix ou, si l’on préfère, sur les conditions qui accompagnent leur sélection finale. La question est de savoir quelles sont les cibles à toucher pour modifier les choix de quelqu’un. Tous nos choix importants et même une grande partie de nos choix quotidiens relèvent, bien sûr, du raisonnement, du pragmatisme et de notre affectivité. Mais ils s’inscrivent aussi dans tout un jeu de conditions historiques, contextuelles, contractuelles et éthiques.
Les conditions historiques dans lesquelles s’ancrent nos choix s’inscrivent dans le passé, mais aussi dans l’anticipation de l’avenir : culture, valeurs héritées de la famille, croyances, attachements affectifs, habitudes de vie, loyauté envers ses proches et son groupe, mais aussi attentes et projets, orientations, perspectives. Les conditions contextuelles font que nos choix dépendent en grande partie de nos liens, de nos relations actuelles, de notre adaptation à un environnement, du langage que nous utilisons pour décrire le monde. Les conditions contractuelles définissent nos engagements explicites ou implicites, les filières dans lesquelles nous sommes orientés, les tâches qui nous sont assignées dans la vie sociale, les conventions que nous observons avec notre entourage. Les conditions éthiques de nos prises de choix représentent l’univers de valeurs dans le cadre duquel nous prenons nos décisions. Ces quatre types de conditions sont précisément les cibles que vont viser les groupes sectaires pour asseoir leur emprise.
On retrouve de façon quasiment constante un travail de relecture du passé personnel avec disqualification. Le discours tenu au futur adepte s’inspire «du passé, faisons table rase», ou encore : oublie tout ce que l’on t’a appris ; ou, pour paraphraser Dante : «toi qui entres ici, renonce à tout ce que tu croyais». Le travail sur les représentations de l’avenir est du même ordre. Dans une tonalité négative : «Si tu continues dans cette voie, tu es perdu» ou dans une tonalité positive : «Tout peut changer si tu le veux vraiment».
Le même travail de sape est effectué sur les autres paramètres qui conditionnent le choix. Les liens au contexte social, culturel ou affectif font l’objet d’une prescription de rupture ou de distance. Les nouveaux liens avec le groupe sont renforcés par une demande de participation croissante. Parallèlement on multiplie les micro-engagements ponctuels qui peuvent paraître anodins : pratiques, participations, dons, démarches, règles de vie quotidienne.
Comme l’ont finement démontré Beauvois et Joule, ces consentements ponctuels ne sont pas sans incidence sur des choix plus importants : on peut ainsi citer l’exemple du mariage. Vous rencontrez un beau jeune homme (ou une belle jeune fille). Vous acceptez de prendre un verre. Vous acceptez un second rendez-vous ciné… et de petits oui en petits oui, vous vous retrouvez un jour, un peu surpris, devant Monsieur le Maire. La chaîne des oui est d’autant plus difficile à rompre qu’elle est très progressive : on ne rompt pas sans raison totalement majeure, au 17° rendez-vous ! On constate que dans tous les groupes sectaires, la question du contrat de loyauté indéfectible au groupe est primordiale.
Le même type de travail est effectué sur les déterminants éthiques de la décision. Les références éthiques préalables sont disqualifiées, désacralisées, et font l’objet d’une analyse critique pour être remplacées par les valeurs du groupe. Celles-ci font appel aux mêmes aspirations profondes, mais avec une réorientation dans le sens de l’exclusivité. Les conflits de valeur, habituellement responsables de tensions et déchirements, sont ici évacués au bénéfice d’une valeur dominante : le succès de la cause par l’unanimité du groupe.
Si ce travail subtil est bien mené à ces quatre niveaux, lorsque surviendra l’occasion d’une décision à prendre, il y a fort à parier qu’elle s’orientera dans le sens voulu par les dirigeants.
On peut ici reprendre «la théorie de l’engagement » résumée par Beauvois et Joule:
- on est d’autant plus engagé que la décision a été libre
- on est d’autant plus engagé que la décision a été publique
- on est d’autant plus engagé que la décision a été répétée
- on est d’autant plus engagé que la répétition a été coûteuse
- on est d’autant plus engagé que l’on ne semble pas pouvoir revenir sur sa décision.
Le contexte affectif et émotionnel est facilitateur de ce travail subtil, entretenu aussi par la dynamique de groupe.
Dans le cadre de l’idéologie, l’adhésion peut correspondre à une réaction à l’usure et à la perte de crédibilité des appareils socio-politico-religieux. Du désenchantement à la révolte, le citoyen réagit négativement à l’afflux d’informations qu’il reçoit sans moyens de les analyser et encore moins d’agir. D’où la fascination pour ce qui lui est présenté comme radicalement alternatif - ou au moins, à défaut de fascination, la curiosité. A cela s’ajoute la séduction de la cohérence d’un discours réducteur et l’harmonie apparente des thèses universalistes. La dynamique proposée dans le cadre de l’idéologie repose sur l’acquisition progressive et initiatique d’un savoir réservé, la découverte avec un langage nouveau de réalités inconnues.
Du point de vue du lien social, l’adhésion peut correspondre à une réaction contre l’anonymat urbain et la dissolution dans la masse, la menace des communautés différentes. La fascination pour le «nous» fusionnel est plus répandue que ne voudraient le faire croire tous les discours sur l’individualisme contemporain. M. Maffesoli a fort bien décrit ce renouveau d’aspiration au lien tribal. Le groupe sectaire, élitiste s’il en est, répond apparemment à deux besoins : s’immerger dans un groupe avec identification aux autres et émerger de la masse avec sélection des meilleurs.
La culture ambiante depuis quelques décennies a célébré les vertus de l’individualisme, de la révolte, de l’expression hors norme. Mais parallèlement ou complémentairement, on voit renaître une nostalgie de la soumission, de l’obéissance et de la conformité. Ceci est net au sein de certaines entreprises ou organisations. Dès lors est tolérée, voire attendue, l’apparition de leaders forts, de règles contraignantes et d’une violence institutionnelle «froide».
Et c’est la construction de l’isolat culturel dont la taille, la structure rigide, la hiérarchie et l’unité doctrinale permettent la cohésion. C’est aussi le culte de la personnalité, le leader ou ses représentants désignés étant les seuls garants de la solidité ou de la pérennité de l’ensemble. C’est à terme aussi pour les adeptes la représentation d’une citadelle assiégée, avec la tentation de se défendre, de contre-attaquer et à l’extrême, de périr pour la Cause.
Dans le domaine spirituel aussi, l’adhésion au groupe sectaire s’inscrit dans une réaction de rejet des anciens appareils disqualifiés, de l’hyper-rationalité tuant le rêve, des systèmes économiques complexes et menaçants. La fascination revenue ou réactualisée pour l’irrationnel, le magique, le merveilleux, l’émotionnel. L’aspiration à la solution, la vérité unique et indivisible. La dynamique ici en action est la progression vers un radicalisme, fondamentalisme ou intégrisme exigeant et agressif. C’est aussi la construction d’une prothèse d’espérance réservée aux seuls membres du groupe.
Ce qui est proposé se présente sous la forme d’acquisitions (de performances, de pouvoirs, d’équilibre, de progrès spirituel), de progression et de promotion, cequi est fortement attrayant et peut paraître sans danger. L’acceptation des conditions du training est facilitée par le fait de renvoyer le postulant à ses propres motivations : «Si tu veux être des nôtres, tu dois accepter de participer ou d’apprendre» ou encore : «C’est à vous de savoir si vous voulez progresser» , ce qui revient à dire paradoxalement : «Puisque vous êtes venus librement, vous devez vous soumettre entièrement.» La procédure elle-même fait appel à detrès nombreux éléments : points de vulnérabilité du sujet, effets de groupe, utilisation de l’émotionnel, néolangage, production d’effets visibles à court terme, distanciation des influences extérieures, prescriptions, progression dans l’enseignement doctrinal, étapes dans la promotion et missions de responsabilité. Elle s’étale sur une longue durée, une adhésion immédiate et totale ayant peu de chances de perdurer si elle n’est pas suivie d’un travail en profondeur et à plusieurs dimensions.
Une condition essentielle est de provoquer au départ une certaine déstabilisation psychologique, période de flottement, de perplexité et d’insécurité où tous les repères antérieurs sont remis en question. Si l’on veut «jouer le jeu», il faut accepter d’abandonner ses certitudes, préjugés, interprétations, explications, et se rendre disponible et ouvert pour recevoir ce qui est proposé. C’est l’état du novice, de l’apprenti, de l’élève, de l’infans qui a tout à apprendre.
Selon les groupes, on mettra en place un cadre où l’impétrant est inexpert, coincé, mis en cause, invalidé dans ses repères, culpabilisé à l’occasion, privé du contrôle de la situation, mobilisé émotionnellement. Une analogie est possible avec l’apprentissage cognitif. Les études de Piaget, de Whitehead et de Marty ont retenu la notion de niveaux d’intégration ou de paliers de structuration dans le développement. Le passage à un palier supérieur s’accompagne d’une sorte de deuil des repères précédents. Pour apprendre, il faut désapprendre et accepter d’être déstabilisé. On peut prendre l’exemple banal de la natation.
Les techniques peuvent affecter le corps et la psychologie, l’intellect et l’affectivité. La prescription d’attitudes posturales particulières, la répétition de gestes identiques, une position insolite imposée dans le dialogue, une gestuelle effectuée rituellement et collectivement, certains exercices respiratoires ou d’expression corporelle sont utilisés couramment et induisent un certain type de réceptivité.
Au niveau des états de conscience, pour obtenir des modifications de vigilance plus ou moins accentuées, assimilables à des degrés d’hypnose, plusieurs techniques sont possibles. On se référera aux travaux de Léon Chertok et Stengers. Les substances psychotropes ont pu être exceptionnellement utilisées, mais on sait que le jeûne, un état de fatigue extrême, certains exercices modifient le niveau de vigilance.
Au niveau affectif et émotionnel, la reviviscence d’événements traumatisants passés, le réveil de culpabilités latentes, les consignes paradoxales ou contradictoires («Soyez spontanés!») peuvent provoquer un désarroi profond accompagné d’un sentiment d’authenticité, de la conviction d’accéder enfin à la vérité de son être. Dans le même registre, les situations de «double lien» décrites par l’école de Palo Alto (G. Bateson) sont profondément déstabilisantes.
Au niveau intellectuel et cognitif, la révélation de nouveaux concepts et d’une autre logique se retrouve dans la plupart des groupes sectaires. Le vocabulaire habituel est récusé pour décrire et analyser les faits, les situations, les relations, les ressentis. On demande au sujet «volontaire» pour cette sorte d’initiation de renoncer à ses méthodes d’analyse et d’interprétation habituelles.
Les effets de groupe s’ajoutent aux exercices individuels avec une très grande efficacité. On sait qu’il est très difficile, même en restant critique et défensif, de résister à des manifestations émotionnelles groupales. On imagine l’intensité de l’effet produit si on a décidé de participer pleinement et de jouer le jeu, même si c’est simplement pour voir.
Mais il serait insuffisant de créer des conditions de déstabilisation, de désarroi et de vulnérabilité si n’étaient pas proposés parallèlement de nouveaux repères, des acquisitions, un projet différent, en bref une restructuration de la personnalité selon un modèle défini. L’emprise doit provoquer sur tous les plans des situations d’évidence positive. Chacun des éléments de la remise en question doit trouver son corollaire restructurant.
Au sentiment de malaise et d’étrangeté provoqué par certains exercices, attitudes et états physiques, doit correspondre la satisfaction de l’expérience menée à bien, la détente, la relaxation en milieu rassurant. A la perplexité, au désarroi doivent correspondre la présence bienveillante et encourageante du conducteur de l’expérience. Aux doutes et aux interrogations doivent correspondre les certitudes inébranlables du chef et des autres sujets. A la disqualification du passé, à la culpabilité doivent se substituer le réconfort d’être accepté, de partager un projet commun. La remise en question de la validité des liens antérieurs doit être compensée par la chaleur fusionnelle du groupe. Aux opinions, interprétations, explications antérieures fortement ébranlées, au langage rendu inadéquat doivent se substituer une logique, un corps doctrinal, un ensemble logique parfaitement cohérent. Aux objectifs initiaux, durement critiqués, doivent se substituer des perspectives de progression dans l’initiation, la connaissance, le savoir, la promotion. La vanité dénoncée des désirs doit trouver son équivalent dans un espoir exaltant de réussite vraie, d’acquisition de pouvoirs, de salut, d’accès au monde des élites et des élus.
On peut alors parler d’une sorte de glissement allant de l’émotionnel au cognitif : ce qui est très fortement ressenti acquiert - à juste titre - un caractère d’authenticité. Le glissement consiste à faire apparaître au sujet ce qui était émotionnellement authentique comme cognitivement assuré. Et c’est l’allégation de Vérité, soutenue par une logique interne forte, mais surtout renvoyée à l’expérience même du sujet. «Ceci est vrai, puisque vous l’avez personnellement éprouvé, ressenti profondément.» Cette «vérité» a toujours quelque chose d’incommunicable : n’étant pas vérifiable par les voies vulgaires du raisonnement, elle n’est pas réfutable. Elle ne peut qu’être approfondie par la suite du programme.
Le processus d’emprise n’aurait pas la même efficacité s’il n’incluait pas des parades au doute et au découragement qui peuvent saisir n’importe quel «bénéficiaire» lorsque la fascination faiblit. Interviennent alors ce que les comportementalistes appellent des «renforcements» qui vont relancer la dynamique d’appartenance et d’emprise.
Dans tous ces groupes, on peut observer la mise en place d’un encadrement de soutien et de surveillance, chargé de pallier les défaillances et déviations de chaque sujet. Cette mission n’est pas l’apanage exclusif de la hiérarchie, mais mobilise les membres du groupe les plus proches du sujet : encouragements, pressions, promesses et témoignages sont alors de rigueur. Si le processus est bien engagé, l’argument de la loyauté au groupe et au chef est l’un des plus puissants : partir, c’est trahir et rejoindre le troupeau médiocre des non-initiés ou des ennemis de la vérité.
Le mécanisme tautologique et d’auto-référence se présente sous la forme d’un paradoxe: «Si vous êtes insatisfaits et doutez, ce qu’il vous faut, c’est un peu plus de la même chose.» La lassitude, l’ébauche de critiques, la souffrance des contraintes et ruptures sont mises au compte d’un effort insuffisant dans l’apprentissage, la disponibilité, l’obéissance et le rejet des anciennes valeurs. Dans les cas les plus graves l’isolement, la quarantaine et la menace d’abandon pourront intervenir. Le doute n’est pas interprété comme une marque de lucidité qui permettrait une critique du système en fonction de critères valables, mais plutôt comme un retard dans la progression dans une voie pourtant «librement choisie».
Quoiqu’il fasse, en effet, l’adepte est toujours en deçà de l’idéal, jamais arrivé, et l’horizon du souhaitable recule sans cesse ; il est toujours à la merci d’une régression, d’une rétrogradation qu’il devra compenser par de nouveaux efforts sous l’oeil critique des dirigeants et du groupe. Chaque groupe a son vocabulaire pour désigner ce «déviationnisme» qui menace la cohésion nécessaire.
On a beaucoup insisté sur la difficulté de définition d’une secte. Par contre, le regard des témoins, proches ou occasionnels, discerne facilement les transformations opérées chez un adepte. Ce qui frappe au premier chef, c’est l’affirmation de certitudes péremptoires, inentamables et exclusives, doublées d’une inaccessibilité, d’une imperméabilité à toute réinterrogation.
La vénération sans réserve des dirigeants et du groupe justifient une docilité, une soumission et une disponibilité sans réserves. La revendication d’exclusivité de la vérité détenue génère à des degrés divers l’intolérance et la condamnation de toute autre analyse, et les valeurs revendiquées sont toutes subordonnées au devoir d’allégeance inconditionnelle.
Il ne s’agit pas seulement de convictions acquises et d’occupations envahissantes, mais d’une transformation de la lecture et de l’interprétation du monde, comme si un filtre sélectif avait été mis en place. Toutes les informations reçues sont alors traitées et sélectionnées en fonction de leur orthodoxie par rapport à la doctrine du groupe.
Chacun de nous possède un jardin secret de valeurs et d’attachements soigneusement défendu: c’est le domaine de l’«intouchable». Mais autour de ce noyau bien défendu, nous acceptons des remises en question, des critiques, des influences : c’est le domaine du «négociable». Dans le cas de l’adepte convaincu, tout se passe comme si ce champ de l’intouchable avait envahi tous les secteurs de la vie, ne laissant à la périphérie qu’une portion congrue d’accessibilité aux influences et aux différences. Et cette zone intouchable correspond à l’emprise qu’a le groupe sur les croyances, les comportements, les modes de vie, les liens affectifs. Ainsi, le gourou arrive même à faire tomber les tabous les plus solidement ancrés dans notre société et au tréfonds des individus, pratiquant au sens strict le viol des consciences avant même le viol physique ou tout autre atteinte particulièrement inconcevable : l’abandon de ses propres enfants, l’incitation à la complicité criminelle, etc… L’emprise achevée empiète, selon les groupes, sur de plus ou moins larges secteurs, mais elle est généralement expansive avec le temps.
Les systèmes «intégrés» sont dans le vent de l’évolution actuelle. Dans différents domaines, la formule «tout compris» est séduisante et pour les prestataires de service, c’est la garantie d’une clientèle captive. Certaines entreprises l’ont compris depuis longtemps, fournissant à leurs employés travail, logement, prestations complètes «du berceau à la tombe», et même l’idéologie «maison». La contrepartie exigée, tout au moins des cadres, est un dévouement total et une loyauté sans faille. Toutefois, ces systèmes laissent en dehors de leur emprise certaines zones de vie où la diversité et la réversibilité peuvent jouer. Certaines dimensions spirituelles et universalistes font cependant défaut. Si on les ajoute dans le cadre d’un groupe sectaire, l’emprise sera presque totale et rendra problématique toute «désappartenance».
____________________
Boudon R., Effets pervers et ordre social, Paris, PUF, Quadrige, 1993
Beauvois J.L., Joule R.V, Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, Grenoble, PUG, 1987
Beauvois J.L., Joule R.V., Soumission et idéologies.Psychosociologie de la rationalisation. PUF, 1981
Beauvois J.L., Joule R.V., La psychologie de la soumission. Rappel de quelques concepts scientifiquement testés, dans La Recherche, n° 202, septembre 1988.
Beauvois J.L., Joule R.Vet Monteil J.M. Perspectives cognitives et conduites sociales, Delachaux et Niestlé, 1992
Joule R.V., Rationalisation et engagement dans la soumission librement consentie, Thèse pour le Doctorat d’Etat es Lettres et Sciences Humaines. Université des Sciences sociales de Grenoble. 1981
Maffesoli M., Le temps des tribus, Paris, Klinksieck,1988.
Piaget J., Introduction à l’épistémologie génétique, Lausanne, 1950
Whitehead A.N., Principes de la connaissance naturelle, Paris, 1919
Marty , Les mouvements individuels de vie et de mort , Paris, Payot, 1959
Voir aussi :
Moscovici S., Psychologie des minorités actives, Paris, PUF, 1979.
Moscovici S., Influence sociale et cognition, International Congress of Psychology, Bruxelles, 1992.
Moscovici S. et Mugny G., Psychologie de la conversion, Cousset Delval, 1987
Méditations, positions yogiques, incantations bras levés...
«Touche le mur», action répétée à l’infini dans certaines auditions scientologiques.
Le divan du psychanalyste, le confessionnal traditionnel des catholiques..
Chertok L., L’hypnose. Théorie, pratique et technique, Paris, Payot, Nouvelle édition 1989
Stengers I., L’importance de l’hypnose, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, 1996.
Cinq conditions indispensables à ce double lien (double bind) totalement inhibant :
- que la personne l’exerçant soit proche ou dans un rapport d’autorité
- qu’il soit impossible d’accéder à un commentaire de l’injonction, à un métalangage qui serait une issue
- qu’il soit impossible de fuir
- qu’un premier message, verbal, donne une injonction
- qu’un second message, non verbal, ordonne le contraire.
Dans l’introduction à La Dianétique, L.R. Hubbard précise que tous les concepts radicalement nouveaux contenus dans son oeuvre nécessitent un apprentissage soigneux, et non une analyse. Si un concept n’est pas compris, il faut y revenir ad libitum, jusqu’à sa compréhension parfaite. Et les cours scientologiques favorisent ce retour en arrière : s’il y a doute ou interrogation, c’est faute d’un apprentissage correct : on revient donc encore et encore sur le texte, et le concept.
Abgrall J. M., La mécanique des sectes, Paris, Payot, 1996
Packard V., La persuasion clandestine, Paris, Calmann-Lévy, 1958
Les obsédés du standing, Paris, Calmann-Lévy, 1960
Sectes sur le Net francophone |
Home Page Sectes = danger ! |