Ce n'est pas la moindre particularité d'Elan Vital que d'avoir secrété
son propre pôle négatif, par un site Internet ouvert à
tous les déçus de la secte.
Hubert Lisandre
Le site des "Ex-premies" n'est pas né, on peut le supposer, du souhait de Maharaji - il y est d'ailleurs notifié diverses tentatives de sa part pour l'empêcher d'exister - et ceci ne cadre guère avec les intentions impérialistes qu'on lui suppose. L'initiative en revient à un ancien adepte, qui a occupé des fonctions relativement importantes dans la filiale française; il y explique son propre parcours, et comment le train de vie scandaleux du gourou l'a convaincu d'en rejeter l'influence.
Au-delà de ce rejet politiquement correct, le site propose une abondante documentation sur les origines historiques et idéologiques du mouvement, son mode de fonctionnement, ses techniques de recrutement. Il héberge un forum où chacun peut s'exprimer - principalement des adeptes déçus, mais aussi, à l'occasion, des adeptes scandalisés. En cela, il offre un matériel sans commune mesure avec le site de la secte elle-même - lequel se limite à peu près à fournir toutes les adresses utiles pour en savoir plus - pour tenter de saisir les enjeux réels d'un mouvement comme celui-ci.
La question qu'il permet d'approcher n'est pas tant celle des indécences du gourou, qui y sont largement commentées et critiquées, que celle des motivations qui peuvent y conduire. On aime à croire, obstinément, que le futur adepte est un débile mental - pardon : un "être fragile et sans défense" - qui se laisserait abuser par un discours trompeur, sans user de discernement. La documentation fournie permet de montrer le contraire, de façon assez convaincante, et révèle du même coup certains fondements inaperçus du succès des gourous dans les valeurs idéologiques qui sont les nôtres.
Faut-il être débile pour aimer ? Le débat est ouvert, et on pressent d'emblée combien il est dangereux pour le respect des libertés individuelles, en ces temps qui idolâtrent un rationalisme béat. La description détaillée d'une initiation à Elan Vital (le passage d' "aspirant" à "premie") laisse en tout cas peu de doute sur ses ressorts psychiques : on y favorise une lente énamoration de Maharaji, messager de la "Connaissance", où la part de séduction n'est guère plus subtile, ni plus opérante, que dans n'importe quelle aventure sentimentale... ou n'importe quel enseignement. Cette suggestion dont on se scandalise tant n'est jamais que la mobilisation par un individu de ses propres capacités de transfert, comme Freud l'a montré depuis longtemps déjà. C'est en lui, plus que par elle, que se décide l'effet d'aliénation. En cela, l'adhésion à la "Connaissance" est de la même nature que l'adhésion à toute croyance - y compris psychanalytique.
Les "ex-premies" ne sont pas dupes de ce que ce prix d'amour à payer, qui les a orientés là, aurait pu aussi bien les orienter ailleurs, au hasard d'autres rencontres : "Nous ne sommes pas coupables que de notre naïveté. Il faut profiter de notre temps, vivre la vie sans peur, sans rancune, sans culpabilité. Je refuse cette doctrine qui commence par me dire ce que je dois sentir, penser, et qui je dois aimer." Et ils savent aussi qu'ils sont pour beaucoup dans leur choix : "On dirait qu'on demande une belle histoire, comme les enfants, pour ne pas avoir de mauvais rêve. Trompez-nous, trompez-nous s'il vous plait, nous sommes prêts à croire n'importe quoi!" Bref, les "premies" sont comme les électeurs. Il s'agirait alors de comprendre pourquoi il sont devenus "ex", pourquoi ils ont rompu avec ce conte de fées, en pariant que le ressort de leur rupture n'est pas moins intérieur que celui de leur adhésion.
C'est ici que le site devient moins explicite, et qu'il faut l'interroger entre les lignes. On y avance en effet deux arguments majeurs, qui n'expliquent rien car ils ne peuvent naître qu'après la rupture, par une rationalisation ultérieure. Tout d'abord, Maharaji serait un escroc, qui ne vise qu'à absorber un maximum de fonds pour s'assurer un train de vie fastueux. Or, le "premie" peut aussi bien se réjouir du luxe où se montre son gourou, signe de sa félicité et de la vérité même de son message. Les fastes catholiques, même dénoncés par la Réforme, n'ont jamais dissuadé bon nombre de chrétiens.
Par ailleurs, l'adhésion à la secte perturberait gravement les liens affectifs avec l'environnement social. Or, toute passion amoureuse perturbe gravement ces liens, on pourrait presque dire que c'est à ça qu'elle sert d'abord, et ce serait refuser l'amour que refuser cet inconfort, qui relance les dés de la construction subjective, et peut mener au meilleur, au moins autant qu'au pire : qui n'a vécu la rupture salvatrice du "premier amour" comme l'avènement véritable d'un passage à l'âge adulte ?
Plus que la condamnation du Maître, qui est le lot de tout amour déçu, ou que le dépit d'avoir cru détenir une vérité réduite en cendres, un motif essentiel sous-jacent à la rupture doit plutôt être situé dans l'humanité même du gourou, qui échouera toujours, tôt ou tard, à alimenter l'illusion d'être un dieu vivant, offrant prise, du même coup, au doute et aux rancunes. Mais ceci n'est en rien spécifique aux "premies". C'est plutôt le symptôme d'une époque affolée d'avoir vidé son propre Ciel, qui ne veut plus savoir combien l'idole rassure, et s'empresse de combler le trou, que ce soit par Staline ou Bill Gates, Sartre ou Patrick Bruel. La puissance des idoles ne vient pas tant de leur génie propre que de la difficulté formidable à admettre que rien ne sert de "voir" pour "croire" - c'est-à-dire à admettre qu'il y a de l'inconscient.
Difficulté insurmontable, sans doute, en dernière analyse, parce que l'homme ne pourra jamais se passer tout à fait de miroir. La psychanalyse n'a ici que l'intérêt de proposer une lecture matérialiste à cette "débilité" humaine qui fonde toute spiritualité. De ce point de vue, les sectes ne sont qu'une des nombreuses réponses à un mensonge fondateur de notre culture moderne : toute "raison" est naturellement l'esclave des passions qui la gouvernent, et le véritable effort moral n'est pas d'être toujours plus cohérent, mais d'être toujours moins dupe de sa propre cohérence. L'un est, quoi qu'on dise, beaucoup plus facile que l'autre, mais également ouvert à toutes les impasses. On se complaît bien davantage à distinguer "rationnellement" le bien du mal qu'à interroger ce qui, en soi, rend ce soi-disant "mal" si nécessaire pour vivre.
S'en tenir au dieu vivant, s'en tenir à la conviction que la cohérence suprême est là, incarnée devant moi, et qu'il n'y a qu'à l'imiter - bref, s'en tenir à ce qu'on a toujours fait depuis l'enfance - c'est se préparer inévitablement au dépit amoureux qui déchire un jour le voile, et laisse entrevoir que cette perfection incarnée n'était que la projection unifiée de mon insupportable incohérence. Le symptôme de cette erreur, l'indice le plus sûr du mensonge, c'est ce mirage d'excellence qui fonde toute secte - mais aussi notre ordre social. Dès lors que la "progression" dans la Connaissance est supposée objectivable, sanctionnée par un changement de statut - "aspirant", puis "premie", puis "initiateur" ou "instructeur" etc... - mon effort ne porte plus sur l'affrontement à ma propre incohérence, mais sur ma propre adéquation à une norme extérieure, dont le gardien devient l'objet de toutes les aliénations, et simultanément de toutes les jalousies.
L'émulation, soi-disant saine, que cultive la concurrence, n'est pas la cause de cette erreur. Ce qui égare, c'est d'en chercher la mesure hors de soi, dans le miroir trompeur d'un autre idéalisé. Dans ce retour incessant sur soi qui rythme discrètement toute existence humaine, au prix d'un détour incessant par l'autre, l'erreur est d'inverser le temps fort. Marx a saisi l'impasse du capitalisme dans l'inévitable alternance entre argent et marchandise, où l'illusion est de lire une logique marchandise-argent-marchandise comme une logique argent-marchandise-argent.
Respectivement, une logique moi-l'autre-moi comme une logique l'autre-moi-l'autre - tellement plus affine, pourtant, à la soi-disant excellence sociale.
L'"ex-premie" n'est donc nullement, par nature, un débile qui se serait trompé. C'est un sujet humain qui s'est risqué à vivre, c'est-à-dire à aimer. Ce n'est pas parce que son amour est mort qu'il se serait trompé d'amour, car l'amour ne sert pas à durer, mais à réveiller la raison. De cette aventure, il retire sans doute le meilleur s'il a tiré de la Connaissance un peu plus de force pour assumer en lui-même ses innombrables "imperfections". On note d'ailleurs avec intérêt que sur le site, Maharaji est dénoncé, mais la Connaissance conserve des partisans : "Après avoir brisé la jarre qui nous retenait prisonniers [l'aliénation au gourou], nous avons fini par partir avec l'objet brillant [qu'elle contenait : la Connaissance]." Mais il ressort brisé, égaré et déçu, s'il croit seulement qu'il s'est trompé de gourou, ou pire, qu'il n'a pas été "gradé" par lui à sa juste valeur. Le véritable dindon de cette farce - qui prend à dire vrai tant de visages très respectés dans notre société moderne - ce n'est pas "l'ex-premie" en tant que tel, c'est l'ex-"primé" qui ne cherchera demain qu'à briller de nouveau dans le regard d'un autre. Un psy, par exemple ?
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