Conte pour petits d'humains sur le chemin.
Jean-Luc Guilhem
Petit d'humains se sentait pas bien. Il s'adressait aux autres humains mais le courrier souvent se perdait et ce qui arrivait dans sa boîte à lettres ne le touchait pas...
"Oui... oui..." se disait-il..."Oui, c'est bien... c'est bien..." se disait-il encore... Mais il ne s'y reconnaissait pas. Presque pas... c'est-à-dire un tout p'tit peu "qui valait pas l'coup, merde"...
Petit d'humains alors essayait de s'adresser à lui, mais ça n'arrivait jamais... Ça partait on ne sait d'où et surtout surtout ça arrivait on ne savait pas... à qui. À QUI ?
C'était comme un mouvement, comme un élan, comme un appel.
Rien qu'un mouvement. Rien qu'un élan. Rien qu'un appel. Un battement d'ailes sans oiseau. Un message sans émetteur, ni récepteur, comme diraient les poètes.
Y avait de quoi être triste, très triste... Vous savez, quand on ne pleure plus, quand il n'y a plus de larmes, que seulement ça coule, coule, coule comme des rivières...
Mais Petit d'humains n'était pas triste. Juste dans un coin serré.
"Que tous ils ne sachent pas, bon, d'accord" se dit-il un jour... Et il cessa de s'adresser à tous, ça lui fit un peu bizarre dans le ventre... Ce fut tout.
Mais ce qui arrivait dans sa boîte à lettres ne le touchait toujours pas... Presque pas... c'est-à-dire un tout p'tit peu "qui valait pas l'coup, merde, merde, merde"...
Alors une nuit il s'inventa... un humain qui sait. Et il s'adressa à lui. Seulement, seulement, seulement Petit d'humains ne savait pas qui c'était celui-là et où il habitait celui-là. C'était comme ça. Un oiseau inventé. De la magie, comme diraient les neurobiologistes. Mais ce coup-ci, dans la boîte à lettres, il n'y eut rien, rien, rien. "Merde, merde, merde !" cria-t-il.
Les parois de la boîte étaient refermées sur l'Absence, sa main tenait la porte et ne la lâchait plus.
Là il y eut un grand mouvement. Une larme est venue. Des larmes venaient.
Quelque temps après, le coup de foudre s'abattit sur Petit d'humains et Queen BB Marilyn lui apparut. C'est ainsi qu'elle essayait de s'appeler et tout le monde essayait aussi.
Le stade du coup de foudre fut bref. Il fut suivi du stade de la relation sexo-affective passionnelle et réciproque, comme disent les cliniciens.
Puis un jour, chez Petit d'humains et Petite d'humains, on entendit quatre mots : "on s'aime plus".
"Non, mais c'est... c'est autre chose" dit Petit d'humains, qui avait fait du chemin, mine de tout, mine de rien, avec son Queen BB (1) Marilyn system, comme diraient les francophones.
"C'est autre chose... on va apprendre à se connaître... on va construire notre relation... Tiens, j'ai lu un truc super : «Chaque moment est une invitation à poursuivre le voyage». C'est beau, hein ?
- Moi y a qu'une chose qui m'intéresse : tomber amoureuse. Y a qu'ça qu'je veux !
- Mais alors t'as qu'à prendre des pilules ! Des roses fluo, des jaunes fluo, des vertes fluo...
- Ta gueule, tu comprends rien ! T'es un vieux machin qui fonctionne plus. Casse-toi !"
Là des rivières sont venues.
Et Queen BB Marilyn fut transformée en sale pute, puis en pauvre conne, puis en petite d'humains et en bons moments vécus tous les deux...
Quelque temps après, Petit d'humains-mais-plus-tant-que-ça entendit le chant d'une sirène et El Sombrero Gourroucé lui apparut. C'est ainsi qu'il essayait de s'appeler et tout le monde essayait aussi.
"Je suis la Lumière de la Consolation". Le stade de la révélation fut bref. Il fut suivi du stade de la vénération conditionnée, comme disent les criminolosociologues.
Puis un jour où la lumière était plus forte qu'à l'accoutumée on entendit la voix du messie :
"Encore ! Encore ! Encore !"
"Non, c'est d'autre chose qu'il s'agit" dit Petit d'humains-qui-a-grandi, mine de tout, mine de rien, sur le chemin avec son Big Kangourroux system, comme diraient les aborigènes.
"J'ai tout donné à Lumière de la Consolation mais c'est fini. Tu ne me vois qu'objet de ta jouissance. Ta richesse et la mienne ne sont pas du même monde.
- Misérable vermisseau ! Que le Châtiment Suprême s'abatte sur toi ! Que les Ténèbres t'engloutissent etc... etc..."
Et El Illuminissimo Gourroucé fut transformé en gros porc, en criminel, en structure psychotique (paranoïa), en structure perverse et en petit d'humains sans grande importance.
Il aurait pu devenir un ennemi. Mais ça ne se passa pas ainsi pour Petit d'humains-qui-a-grandi. Et il garda en mémoire des moments privilégiés vécus à Lumière de la Consolation.
Quelque temps après, Petit d'humains-qui-a-grandi se plongea dans l'oeuvre complète de Sigmund Freud.
Quand il eut émergé d'une intoxication conceptuelle aigüe, il chercha un humain psychanalyste. Prudemment il se limita aux freudiens orthodoxes, de la célèbre OFF (Organisation de la Fétichisation Freudienne).
Il eut des préliminaires dans le cabinet de quatre honorables membres officiels. Ils parlaient comme dans les livres, mais beaucoup moins bien. C'était rassurant certes, mais pas bandant. Il ne se passa rien.
Avec le 5ème il se passa quelque chose. Ce ne fut ni le coup de foudre, ni la Révélation, ni la fusion, ni la Grâce. C'était la rencontre d'une attention portée à lui, telle qu'il n'en avait jamais connue. Comme une invitation à poursuivre son chemin d'une manière nouvelle.
Plus tard Petit d'humains-qui-a-grandi se dit tranquillement qu'il savait qui c'était celui-là et où il habitait celui-là. Et il y revint régulièrement. Il devint un analysant comme on dit, mais surtout un peu plus lui-même. Puis petit à petit il prit conscience qu'il n'avançait plus. Et il le dit.
Le 5ème psychanalyste ne pouvait pas se cramponner à un fauteuil du maître qu'il n'occupait déjà plus depuis longtemps. Un jour, avant les vacances, alors que Petit d'humains-qui-a-grandi demandait la date de reprise des séances, il s'entendit répondre : «À la rentrée, vous vous voyez à cette place ?»
Petit-humain est parti. Petit-humain poursuit son chemin. Parfois dans son sommeil il rêve qu'il est un oiseau...
(1) Prononcer beabea
Sectes sur le Net francophone Les Dévots de Krishna |
Home Page Sectes = danger ! |