Après des années d'errance, de joie, de drames, de doute, de péripéties, la secte s'est auto-dissoute début avril 1994 (1). Ils étaient une centaine à cette époque. Aujourd'hui, certains d'entre eux veulent témoigner. Ils veulent transmettre un message d'espoir à toutes les victimes des sectes qui, conscientes du piège dans lequel elles sont prises, aimeraient fuir eux aussi, mais ont peur. Peur savamment entretenue par la structure de toute secte, par les gourous.
Dans notre numéro de BULLES n° 44 nous avions reproduit la lettre que les parents de Gérard, décédé dans la secte, adressaient à tous ses amis qui l'avaient si bien connu. Cette lettre disait entre autres: " Une petite lettre de chacun de vous nous ferait plaisir."
Nous pouvons affirmer aujourd'hui que c'est bien cette mort qui a ouvert les yeux aux adeptes. Voici les témoignages de quelques ex-adeptes d'Ecoovie. L'un d'entre eux a passé onze ans dans la secte. Un autre exprime son insatisfaction, la grogne et le doute depuis son arrivée en Finlande en octobre 1991 ; il ressent un besoin de plus en plus grand d'initiative et de prise en charge, une lassitude et une incompréhension d'une situation et de conditions de vie de plus en plus aberrantes:
Notre chance inouie, c'est d'avoir eu ce sursaut de conscience et cette énergie colossale pour oser faire basculer ensemble l'édifice avant qu'il ne soit trop tard. Nous commençons seulement maintenant à mesurer l'ampleur du conditionnement qui nous a coupés, toutes ces années, du reste du monde.
La question qui nous hante aujourd'hui, c'est : comment avons-nous pu nous laisser duper ainsi ? Les mécanismes pour asservir les gens sont toujours les mêmes. Première chose: utiliser un idéal. Recruter son monde de préférence chez les personnes en recherche d'un idéal qu'elles ont du mal à trouver dans le monde actuel. Utiliser l'insatisfaction de certains face à notre monde et leur présenter autre chose à vivre, quelque chose de plus essentiel. Et nous voilà partis pour la grande aventure, tous prêts à y donner notre vie.
Et j'ai donné ma vie à mon idéal à mon peuple. Et même si, parfois, j'avais envie de quitter le groupe, je pensais que ça serait un échec, un abandon, un refus de me battre, une lâcheté.
Les choses s'éclairaient au fur et à mesure. Norman William avait mis en place un système de cloisonnement qui amenait à ne pas se parler vraiment les uns aux autres. On ne parlait jamais des choses profondes qui pouvaient correspondre à de la déloyauté ou de la critique. Mais cette fois, chacun amenait tout ce qu'il savait. C'était comme les pièces d'un puzzle qui s'assemblaient, une image de plus en plus précise qui se dessinait. Bien sûr, tout cela entremêlé d'hésitations. Il y avait un combat intérieur en chacun d'entre nous. Nous étions encore très influencés par ce que nous avions vécu. Notre organisation mentale, nos valeurs, étaient très différentes de celles de maintenant. Nous donnions de l'importance à des choses qui semblent absurdes maintenant et nous en justifiions d'autres qui nous paraissent graves aujourd'hui.
Toute cette aventure amène un certain nombre de questions
importantes pour nous afin de vraiment comprendre ce qui s'est passé,
importantes pour d'autres qui pourraient se trouver dans des situations
semblables, importantes pour une société qui doit réfléchir
sur elle-même :
Quand on regarde en arrière maintenant, c'est un peu comme s'il s'agissait de la vie de quelqu'un d'autre."
Aujourd'hui, un an et demi après les événements, nous sommes amenés à faire un nouveau bilan et à mesurer le chemin parcouru. Tout d'abord, on constate qu'il n'y a pas eu de grande catastrophe comme on le craignait. Dans les discussions avec la plupart, quelques mois plus tard, ils avouent avoir pensé au suicide, mais en fait il n'y a pas eu d'acte désespéré. Norman William avait cultivé chez nous la peur de la France, certainement pour ôter en nous tout désir d'y retourner et toute nostalgie. Je ne voulais absolument pas revenir en France où je n'étais pas retourné depuis 1986 ; pour moi c'était le pays de la terreur, pays qui nous avait rejetés...
La peur de la France, c'était aussi pour moi la peur de ma famille, de mes parents. Dans notre esprit, les familles étaient manipulées et c'est pour ça que nous avions rompu tout lien avec eux depuis des années. Parce qu'ils manoeuvraient pour nous empêcher de vivre librement ce que nous voulions. On savait que nos parents avaient de bonnes intentions mais on nous disait que leur chagrin, leurs peurs, étaient entretenus en dernier ressort par des services secrets et des pouvoirs occultes dans les coulisses de l'État pour nous empêcher de mener à bien les projets humanitaires de Norman William auxquels nous adhérions.
J'avais peur d'un lavage de cerveau. Norman William nous avait parlé d'organismes spécialisés dans ces techniques pour les dissidents remettant en cause cette société. Comme en Union soviétique où on faisait passer pour fous ceux qui contestaient, et où ils étaient enfermés en hôpital psychiatrique.
Maintenant je me rends compte de l'absurdité de tout cela et de la réalité des liens très forts qui nous unissent. Au contraire, nous avons trouvé dans nos familles beaucoup de chaleur, de compréhension, de délicatesse, ils n'ont pas forcé les choses, ils nous ont laissés évoluer à notre propre rythme, nous défaire de nos préjugés, de nos idées arrêtées, de nos réticences. "
Pire, sur la route de l'exil après avoir été chassés de Finlande, ils devront transporter à l'hôpital l'un des leurs, un homme de 32 ans à l'article de la mort, uniquement victime d'une malnutrition prolongée et de l'absence de soins médicaux, sous une fausse identité pour que ni sa famille ni la police ne puissent le reconnaître ni identifier la secte. Il mourra seul, abandonné de tous.
Sept mois plus lard en Italie où ils se cachent, les adeptes apprennent par la télévision que leur ami est mort le 30 août, le gourou leur avait caché celle mort.
Ce fut ce choc qui détermina les adeptes à rompre avec le gourou de la secte Ecoovie, à regagner la France, puis à reprendre peu à peu contact avec leur famille, à régulariser leur situation, à accepter des analyses médicales et des soins dentaires, à se préoccuper d'une couverture sociale, à chercher logement et travail...
"Franchissez le pas ; extirpez-vous de votre secte. Aujourd 'hui nous respirons librement, nous retrouvons une vie harmonieuse. "
À la lecture de ces témoignages (émouvants), malgré tant d'années passées dans cet enfermement psychique, nous sommes admiratifs devant tant de clairvoyance, tant de sérénité.
(1) : Mais elle refait surface au Québec début 1997.
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