ScientologieScientologie
Mis en ligne le 3 octobre 2003
La première fois que j'ai entendu parler de la scientologie, je devais avoir 15 ou 16 ans et je lisais un article sur la manipulation mentale. Le sujet m'intéressait car un homme averti en vaut deux. De tous ce qui était expliqué dans l'article, il me semblait que rien ne pourrait fonctionner sur moi tant les astuces me semblaient grossières et faciles à éventer. Je me trompais plus que lourdement !
Le passage de l'article qui m'avait le plus frappé par son aspect facile à déjouer (pensais-je...) était celui qui relatait l'expérience de la journaliste qui était allé passer un "test de personnalité" chez des scientologues. Selon cette journaliste, après avoir répondu à un grand nombre de questions en cochant dans des petites cases, le scientologue qui avait analysé ses résultats lui avait montré un beau graphique sensé indiquer, d'après ses réponses, quels étaient ses points forts et ses points faibles.
Toujours selon ce scientologue, le problème majeur de la journaliste (qui n'avait pas révélé sa véritable identité ni sa véritable profession) était... la communication ! Pas très convaincant comme résultat. Et la journaliste insistait sur le fait que le scientologue l'avait éreintée, finissant carrément presque par la menacer des pires catastrophes dans sa vie professionelle si elle ne suivait pas des cours de scientologie.
Oh le piège gros comme une maison ! Cela m'avait fait bien rire. Puis j'avais oublié cet article, persuadé être maintenant bien à l'abri de ce genre de manoeuvre.
Quelques années plus tard, je venais de finir mes études (en filière scientifique) et je travaillais depuis tout juste un an. J'avais gardé le contact avec le club de jeux de rôle du campus. Il y avait là une bande de joyeux drilles à qui il fallait reconnaitre une imagination débordante. J'adorais les jeux de rôle, où il faut se glisser dans la peau d'un personnage totalement imaginaire. Un jour, je trouve un tract dans ma boîte aux lettres : la dianétique, une méthode révolutionnaire, libérez votre esprit et bla bla bla... Tiens ? Le tract propose aussi "Venez faire un test de personnalité gratuit" et en petit, au bas du tract (je lis toujours ce quiest écrit en petits caractères) : bla bla SCIENTOLOGIE ! Cela me remet instantanément en mémoire l'article lu quelques années auparavant. J'en conçois un plan diabolique : et si je proposais à mes compagnons de jeu de rôle une partie "grandeur nature" chez les scientologues ?
Je me documente un peu plus avant en achetant un livre sur la scientologie écrit par une adepte ayant atteint les plus hauts sommets de la secte. C'est là que j'apprend le coup des Thétans extra-terrestres qui sortent de la tête et qui s'accrochent au coins des plafonds ! Quand je présente ça à mes amis, ils ont du mal à en croire leurs oreilles... Je leur explique mon plan : on va se présenter à intervalles de 5 à 10 minutes chez les scientologues un vendredi soir, un tract à la main, pour faire le test gratuit de personnalité. Chacun va se choisir une personnalité et répondre aux questions en fonction de cela. J'explique ensuite que, en théorie, d'après ce que j'ai lu sur cette secte, on va passer un mauvais quart d'heure... sauf que étant prévenus on va chacun pouvoir jouer à se payer la tête de celui qui expertisera notre soi-disant personnalité.
J'explique en détail comment les scientologues devraient tenter de nous manipuler. La mécanique semblant bien au point dans cette secte, nous devrions pouvoir prévoir ce qui va nous arriver et nous préparer en conséquence sans craindre de mauvaise surprise. Après avoir lu le livre que j'avais acheté, deux amis sont partants pour la mystification. Nous les appellerons Alain et Bertrand. Nous déterminons les personnalités à jouer, de telle sorte qu'à trois nous couvrions toute la gamme des comportements, autant que faire se peut. Il y aura donc La Larve, Le Moyen et La tête De Mule. La Larve sera un timide, hésitant, crédule et peu réactif. Le Moyen sera ni timide ni expansif, ni hésitant ni arrogant, ni crédule ni omniscient, pas trop réactif mais pas trop peu non plus. Nous nous répartissons les rôles. Je me réserve ce que je crois être le morceaux de choix : La Larve. Avec moi, La Larve sera un étudiant qui va finir son DEA de mathématiques cette année (ce qui correspond à peu près à mon âge), qui va devoir trouver un travail (ce qui ne corespond pas du tout à mon cas puisque je travaille déjà depuis un an) et qui s'est fait récemmetn larguer par sa copine (ce qui ne correspond pas non plus à mon cas).
En théorie, je devrais avoir droit au grand jeu scientologue puisque je suis la victime révée : un timide en situation d'échec (la copine) et face à un futur gros problème (le premier emploi); Bertrand choisit Le Moyen, et Alain prend La Tête de Mule. Le vendredi soir arrive et je me présente le premier au local scientologue, tout timide et hésitant. On m'installe à une table et je commence à remplir le questionnaire. Il m'apparait rapidement que les questions se ressemblent et se répètent. Je répète donc mes réponses en cochant toujours la même case pour les questions qui se ressemblent. Je suis encore en train de remplir mon formulaire quand Betrand se présente. J'ai du mal à me retenir de pouffer quand on l'installe à côté de moi. Il rempli les cases plus rapidement que moi (normal, je suis une Larve !) et nous terminons ensemble. Parfaitement dans son rôle, il rend son questionnaire en me passant devant. En attendant les résultats, je reste prostré sur une chaise dans un coin tandis que Bertrand feuillette les livres du gourou Hubbard qui s'étalent sur les étagères.
Ah, voilà les résultats. Nous sommes installés chacun dans un box étroit avec un petit bureau devant nous et le scientologue en face. Je peux entendre la discussion de Bertrand avec son scientologue tandis que j'écoute ce que me raconte le mien. Je me présente donc conformément à mon personnage : un étudiant qui va terminer ses études cette année, célibataire depuis peu, et qui va devoir chercher du travail dès cet été. Rapidement, je constate que le discours qui m'est tenu est en tout point celui qui était prévu : je suis formidable, j'ai d'excellents résultats... sauf dans un domaine, là où le graphique (établi comment ? mystère) passe sous la moyenne. Comme prévu, le scientologue m'enfonce : je n'arriverai à rien si je ne résous pas cette faiblesse, j'aurai des dificultés insurmontables et bla bla bla... Je peux lui faire confiance car il me l'affirme ! D'ailleurs, il est un "spécialiste", un "professionnel", il a déjà vu de nombreuses personnes dans mon cas. Je le laisse m'écraser en riant intérieurement de savoir que je ne suis pas celui que je prétend être et qu'il ne le sait pas... Le scientologue insiste lourdement et martelle toujours la même question "Quel est votre problème" sous différentes formes "Qu'est ce qui vous angoisse ?" "Qu'est ce que vous craignez le plus ?" etc... Même si je sais que je suis dans un rôle, dont je m'acquite avec brio en étalant mes problèmes inventés de toute pièce (peur d'échouer à l'examen, du chômage si je réussi, de ne pas être à la hauteur si je trouve un travail, de ne pas rencontrer une nouvelle copine etc...) je trouve vraiment grossière son insistance à me faire voir l'avenir en noir au prétexte que son graphique montre UN point soi-disant en dessous de la moyenne.
Au bout d'un long moment, la conclusion du scientologue tombe : je risque d'échouer à mon examen, et de toute façon je n'arriverai pas à trouver du travail, car face un professeur pour une épreuve orale, ou à un recruteur, je ne suis absolument pas crédible. Je fais celui qui est convaincu mais encore hésitant. Le scientologue me propose alors des cours, dont il me donne déjà la date de début et le planning car il est "urgent que je m'en sorte". Je lui tend la perche : - "Euh... oui, peut-être mais, euh... combien ça coûte ?" Selon lui, c'est une question accessoire car ce n'est pas une dépense : c'est un investissement sur moi, or ne suis-je pas pour moi la personne la plus importante et qui mérite que j'investisse ? Tout à trac, voilà qu'il me demande combien j'ai d'argent à ma disposition. Quelques milliers de francs ? Quelques dizaines de milliers ? J'ai ma réponse toute prête : environ 4000F à moi, car j'ai travaillé plusieurs étés. Il me dévoile alors le prix, pas loin de 2000F mais il s'empresse d'ajouter qu'il y a actuellement une promotion et que c'est 20% de réduction si je signe tout de suite. Il me met le contrat sous le nez et me tend le stylo ! Intérieurement ravi de ma prestation dans le role de La Larve, j'hésite et avance timidement un - "Je crois que je vais d'abord en discuter avec mes parents..." La réaction est immédiate : "Surtout pas !" - Et pourquoi ? "Parce que la décision doit venir de vous, c'est déjà une première étape vers votre amélioration que de prendre votre décision seul, vous ne devez en parler à personne" - "Euh, c'est beaucoup d'argent, il faut vraiment que je réféchisse..."
Le scientologue sort ses dernière cartouches : un agenda pour prendre rendez-vous afin de rediscuter de mon problème et il essaie de me fourguer un exemplaire du livre de Hubbard pour que je puisse déjà commencer à m'améliorer en prenant conscience du formidable potentiel que la dianétique va révéler en moi et bla bla bla...Mais, ayant prévu la chose, je lui montre mon porte monnaie qui ne contient que des piécettes, donc je promet d'acheter le livre lors de notre prochain rendez-vous. Nous fixons une date (il m'attendra longtemps...) et je peux enfin sortir
. Au coin de la rue, je retrouve mes deux complices et j'explose de rire en leur racontant comment s'est déroulé mon entretien. Ils rient surtout de soulagement car je suis resté chez les scientologues beaucoup plus longtemps qu'eux et ils m'avouent avoir commencé à s'inquiéter de mon sort. Je leur raconte mon entretien par le menu. Bertrand m'avoue qu'étant dans le box contiguë au mien, il a pu suivre la conversation et qu'il ne comprend pas comment j'ai pu me laisser enfoncer comme cela sans réagir. Parce que lui, il a assez rapidement découragé son scientologue en lui laisant croire à plusieurs reprises qu'il avait une faille puis en réagissant de telle sorte qu'il pouvait constater qu'il n'en avait pas. Alain pour sa part a eu droit à un traitement vraiment particulier. Même étant prévenu, il a eu un petit moment d'inquiétude ! Il est entré, sans tract à la main, tandis que Bertrand et moi étions dans nos box, en jouant son rôle de curieux hyperactif et décomplexé. Il a commencé d'emblée à feuilleter les livres, avant même qu'un scientologue ne l'accueille. Il a rempli sa feuille de test à toute vitesse et si nous ne l'avons pas vu, ce n'est pas uniquement parce que nous tournions le dos à la salle principale depuis nos box, c'est surtout qu'on la mené dans une petite pièce toute blanche, genre infirmerie, avec des diplômes aux murs, et qu'on la fait patienter seul là-dedans suffisamment longtemps pour qu'il commence à se dire qu'il allait peut-être devoir sortir de ce guépier aux poings ! En fait, il n'en était rien et quand il a eu sa feuille de résultats, il a rapidement découragé le scientologue puis à poussé son rôle jusqu'a réussir à conserver son graphique, alors que Bertrand et moi avons du le rendre.
Nous constatons grâce à cela que le scientologue d'Alain a retracé la ligne de la moyenne d'un coup de stylo (car la photocopie était très pâle) mais qu'il a tracé cette ligne AU DESSUS de la ligne réelle ce qui accentue l'impression d'avoir des résultats SOUS la moyenne ! Bref, ce soir là nous regagnons nos pénates et chacun s'endort ravi d'avoir passé un bon moment à rouler dans la farine des gens dont nous avons pu effectivement constater par nous-mêmes qu'ils sont bien tels qu'on nous les avait décrits.
En principe, l'histoire aurait du en rester là. Elle en est resté là pour Bertrand et Alain, mais pas pour moi... J'ai finalement réussi mon examen de fin d'études et j'ai décroché une incroyable pile de convocations à des entretiens d'embauche. Je me retrouve devant le grand batiment moderne où, hasard extraordinaire, tous mes entretiens doivent se dérouler. J'entre dans le bâtiment : il y a un couloir à l'infini avec des portes numérotées de part et d'autre. Je prend ma première convocation. C'est le numéro de la première porte. J'entre, tout confiant, l'entretien se déroule bien au début puis c'est la catastrophe : refusé.
Nullement découragé, je sors. Après tout j'ai encore un stock de convocations, je vais bien réussir à l'une d'entre elles. Je me retrouve dans le couloir infini. Je prend ma deuxième convocation. C'est le numéo de la porte suivante. J'entre, tout confiant, l'entretien se déroule bien au début puis c'est la catastrophe : refusé de nouveau. Pas de chance... Je sors. Je me retrouve dans le couloir infini. Je prend ma troisième convocation. C'est encore le numéro de la porte suivante. J'entre... et le scénario se répète encore et encore et encore et encore.... Echec, couloir, porte, échec, encore échec, toujours échec, encore et toujours échec. Jusqu'à la toute dernière convocation de la pourtant immense pile, et la toute dernière porte de ce maudit couloir infini. Et là c'est l'angoisse, une affreuse angoise, épouvantable, proprement cauchemardesque parce que si j'échoue à cet entretien, c'est fini, je ne trouverai jamais de travail malgré mon DEA de mathématiques tout frais en poche.
J'ouvre la porte, j'entre... Rien qu'a voir la tête du recruteur, je sais que je vais échouer ! Et je panique parce que tout d'un coup il fait noir !? Je tâtonne pour retrouver la porte du bureau et ressortir dans le couloir éclairé. Je touche du tissu ? Puis un mur ? Je me demande où je suis et je m'aperçois que je suis dans mon lit, flottant encore dans cette réalité confuse du moment où l'on se demande si l'on est au sortir du sommeil ou si la réalité est un cauchemar. Nom de D.... : je me suis fait manipuler ! Moi, le champion des jeux de rôle, l'homme averti qui en valait deux... Je me suis fait pourrir la tête par un scientologue qui a réussi à si bien me bourrer le crâne avec ses mensonges que ma misérable cervelle biologique a de toutes pièces refabriqué une réalité si tangible que j'y ai cru moi-même ! Et c'est là que j'ai pris conscience que si j'avais vraiment été un étudiant timide et angoissé à l'idée de devoir trouver un travail, si j'avais vraiment été cette personne et si j'étais allé passé ce test chez les scientologues, j'aurai de même fais ce cauchemar et j'en aurai conclu que le scientologue qui m'avait prévenu avait raison, tellement raison qu'il avait même eu raison avant mes propres rêves "prémonitoires". Et je serai allé au rendez-vous, j'aurai signé pour le premier cours, dépensé la moitié de mon argent sans rien dire à mes proches, acheté les ouvrages du gourou etc... Le piège se serait refermé sur moi aussi surement que les crocs d'un chat sur une souris.
Voilà un des aspects de la manipulation mentale : il suffit de vous répéter quelque chose, encore et encore et encore... et ce quelque chose va aller s'imprimer profondément dans un repli inconscient de votre cervelle. Plus c'est faux et plus cela vous aura été martelé, plus cela sera évacué rapidement car ne correspondant ni à la réalité ni à votre personnalité. Le souci, c'est que le mécanisme d'évacuation, c'est le rêve, une recomposition de la réalité faite de tous les bouts de vécu qui sont dans votre mémoire. Le vrai se mélange au faux dans une soupe inextricable et même si votre rêve vous met dans une situation TOTALEMENT IMPOSSIBLE (dans mon cas, recevoir une quantité industrielle de convocations à des entretiens d'embauche, tous dans le même couloir du même bâtiment et en séquence d'une porte à la suivante !) il n'en reste pas moins que les émotions que vous ressentez submergent complètement votre raison. Pour ma part, j'ai vite compris que j'étais dans mon lit et que j'avais fait un cauchemar absurde dont la cause était le test de personnalité passé le soir même face à un scientologue qui m'avait sciemment mélangé les neurones pour m'escroquer. Voilà comment fonctionne le "test de personnalité gratuit" que vous offre la scientologie.
Autant savoir.
