par Philippe Allard
Sophie Courbet a étudié l'Eglise du Christ de Paris de l'intérieur parce qu'elle en a été elle-même une disciple convaincue. Cette Eglise est au centre de son mémoire en ethnométhodologie. Le récit et l'analyse de la jeune femme montrent combien ce Mouvement de Boston - une scission des Eglises du Christ traditionnelles - présente des caractéristiques sectaires.
Dans chacune des villes où elle est installée, l'Eglise - créée en 1979 par l'évangéliste-missionnaire Kip Mc Kean - déploie un grand prosélytisme, les disciples partant "évangéliser", à la pêche pour attirer le plus de "visiteurs" aux discussions sur la bible; les Bostoniens organisent même des "chasses au trésor", des évangélisations-jeux.
"La première chose à retenir est qu'un disciple doit être entièrement soumis à son formateur", explique Sophie Courbet. Les actes les plus anodins doivent passer par l'autorisation explicite du formateur. Non seulement, les disciples assistent à des cultes, "dirigent une étude" sur la bible, ont des "moments de formation", méditent... mais ils sont amenés à vivre avec d'autres "frères" ou "soeurs" (de même sexe), à mener des activités de loisirs en commun. Leur temps, leurs sentiments ne leur appartiennent plus. Même la vie amoureuse est régentée par les "formateurs". Les "sorties" sont chaperonnées et codifiées. La femme devra soumission et obéissance à l'homme car "c'est a priori biblique", rapporte Sophie Courbet.
L'Eglise aime poser des "défis" et c'est ainsi que, pour prouver leur amour de Dieu, les disciples peuvent être amenés à déménager, quitter leurs parents ou leur travail, surtout si les horaires sont incompatibles avec les exigences de l'Eglise.
Sophie Courbet s'est particulièrement attachée à la manière dont ce groupe utilisait les mots. Un langage particulièrement enfermant qui rend difficile le départ du "Royaume" pour le "monde". Comme dans d'autres groupes sectaires, les critiques renforcent la conviction des adeptes: "Heureux les persécutés car ils verront le royaume de Dieu" (Béatitudes). Cette secte a déjà fait de gros dégâts en France et en Belgique, surtout auprès de jeunes issus de milieux catholiques. Elle est ainsi la cause de la création de l'Association de Soutien aux Familles Victimes des Sectes.
Denis et Eléonore Dumaine, couple jeune et charmant au demeurant, dirigent l'Eglise à Bruxelles. Denis Dumaine n'a pas encore lu la mise en cause de leur mouvement par Sophie Courbet mais connaît l'existence de l'association belge -Association de soutien aux familles des victimes de sectes- créée à l'initiative de parents de Bostoniens. "Cette association a mes coordonnées, celles de l'Eglise; ils n'ont jamais pris contact avec moi. J'aimerais beaucoup rencontrer les parents de membres ou ex-membres", réagit Denis Dumaine. "L'Eglise n'est pas parfaite", poursuit-il (à noter: à la page 154 de l'ouvrage de Sophie Courbet, le lexique reprend textuellement cette phrase-type "dite dès qu'une critique de l'Eglise est émise"). "Des parents peuvent ressentir des griefs; ils doivent recevoir des explications. J'aimerais dialoguer avec ces parents mais on leur a donné le conseil de ne pas nous rencontrer en dehors de la présence des responsables de cette association".
"Je peux vous citer des familles qui supportent l'Eglise et apprécient les changements dans la vie de leurs enfants", certains ne se droguant plus, se montrant respectueux envers leurs parents ou passant du temps avec eux. Denis Dumaine relève le "caractère très secret" des associations anti-sectaires: "Certains enfants ont voulu aller à ces réunions de parents; les responsables de l'association leur ont défendu d'y participer".
Mais les accusations de sectarisme contre l'Eglise du Christ? "Imaginez ce que des personnes qui quittent un parti, un club sportif pourraient vous dire si vous leur demandez pourquoi elles ont quitté", rétorque Denis Dumaine qui aime retourner les questions à l'interviewer ou le sonder sur ses propres convictions. "Beaucoup de personnes ont du mal à comprendre l'engagement profond de Chrétiens qui vivent le Nouveau Testament". Son épouse Eléonore rejette l'accusation d'imposer une interprétation de la Bible; face aux critiques à l'encontre du pouvoir excessif des formateurs, le responsable bruxellois réagit: "Les gens n'ont pas compris ou ont déformé le rôle des formateurs. Il s'agit d'une relation privilégiée dans l'Eglise qui permet à un homme ou à une femme de grandir leur foi. Si on a des difficultés, des problèmes personnels, de couple, on peut s'adresser à ce formateur comme dans d'autres églises au pasteur ou à la femme du pasteur". Et si les membres s'impliquent "dans la vie des uns des autres", c'est parce que leur foi va plus loin que "simplement fréquenter une église le dimanche". Quant à l'accusation de séparer les familles? "C'est tout à fait horrible! Impensable", clament-ils en choeur rappelant le cinquième commandement qui demande d'honorer ses parents.
L'Eglise du Christ de Boston s'étonne des "réactions émotives, agressives" et invite les gens à rencontrer ses membres, à venir aux cultes "très ouverts". Eux, une secte? Ils définissent une "secte religieuse" comme "une secte qui ne met pas Jésus au centre de son discours". Ce qui n'est pas leur cas: CQFD! Peut-être, mais l'entretien n'a pas dissipé les inquiétudes qu'avaient suscitées les familles...
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