Bulles n° 15 (3èmetrimestre 1987)
UN GROUPE « BOUDDHISTE » PUISSANT
ET PEUCONNU :
SOKA GAKKAI - NICHIREN SHOSHU
En couverture de son numéro de mars 1987, la Revue « Troisième Civilisation » (« mensuel de laNichiren Shoshu française pour la paix, la culture et l'éducation ») publiaitune photo de M. Michel Baroin, Président de la Mission pour lacommémoration du bicentenaire de la Révolution française et de laDéclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, qui devait se tuer dans un accidentd'avion au Cameroun, en compagnie de M. Daisaku lkeda, Présidentde la Soka Gakkai Internationale. C'était le 18 janvier 1987, à Tokyo, La transcription de leur entretien en fut publiée le lendemaindans le quotidien japonais de la Soka Gakkai, « Seikyo Shinbun ».
Lors de sa rencontre avec M. Ikeda, MichelBaroin lui avait demandé « de participer à la célébration dubicentenaire de la Révolution française. Il le nomma membre d'honneur de la commissioninternationale qui présidera à la rédaction d'une «Nouvelle Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen » appelée àconstituer un modèle d'humanisme pour le troisième millénaire. Il sollicitala participation et la collaboration de la S.G.I. à la «Fête de la Vie », dans le cadre des manifestations de commémoration dubicentenaire et invita le Président lkeda à participer aux cérémonies dejumelage avec un village du Sénégal prévues en juin dans la ville deNogent-sur-Seine, dont il est maire ». (Troisième Civilisation, mars 87, p. 5). Selon M. lkeda (ibid. ) « La Révolution française fut une étapemarquante dans l'acquisition de la liberté et le respect de la dignitéhumaine ». D'autres suivirent (révolution industrielle, révolutionsocialiste) - mais « pour fonder une société saine, nous avons besoind'une conception de la vie et de l'homme plus claire et plus précise ». C'est l'explication que propose le bouddhisme (sous la forme de la NichirenShoshu) - « je souhaite que ce principe bouddhique trouve sa place dansune nouvelle Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen » (ibid.).
Le Canard enchaîné du 29 avril 1987s'est fait l'écho de cette curieuse rencontre, sous le titre « Une fête passectaire », mais sans donner d7nformations sur la Soka Gakkai.
Qu'est-ce donc que la Soka Gakkai et laNichiren Shoshu auxquelles Michel Baroin s intéressa quelques joursavant sa mort accidentelle ?
Un peu d'histoire...
Soka Gakkai, « société créatricede valeurs », est « une association de laïcs, croyants du bouddhisme de NichirenShoshu ».
« Nichiren Shoshu : école orthodoxe dubouddhisme de Nichiren Daishonin » (1).
Nichiren Daishonin, moine bouddhistejaponais, vivait au XIIIe siècle. Il prêchait un bouddhisme assez spécial- le seul orthodoxe à ses yeux et à ceux de ses disciples modernes - privilégiant un des textes bouddhistes : le sutra du lotus. Son butétait : « Obutsu Myogo » (fusion du gouvernement et du bouddhisme). Ses positions lui ont valu des ennuis avec le gouvernement japonaisd'alors, et il fut exilé deux fois. Ses successeurs se sont divisésentre eux, et tout cela n'a guère été pris au sérieux pendantlongtemps.
En 1930, quelques hommes d'affaires japonaisfondent une organisation laïque promouvant la secte (2) de NichirenDaishoni : ce fut la Soka Gakkai. Des dirigeants furent emprisonnéspendant la guerre, alors que c'était un crime de refuser de participeraux rites du Shinto, religion officielle. Après la guerre, la SokaGakkai s'est beaucoup développée, comme d'ailleurs un grand nombre de sectesdiverses, qui ont surgi comme des champignons. L'organisation s'est alors surtout adressée aux pauvres, aux gens ruinés par ladéfaite, parfois même « clochardisés » dans un Japon en ruines. Mais au fur et àmesure de la reconstruction économique, ces nouveaux disciples, bienencadrés, disciplinés, sont remontés dans l'échelle sociale etdevenus une véritable puissance, surtout sous la présidence de M. Daisaku Ikeda, maintenant Président international de la Soka Gakkai.
En 1964, la Soka Gakkai fonde un parti auJapon : Komeito (gouvernement propre) qui a obtenu des succèsremarquables aux élections successives. Il serait actuellement le troisième groupeà la Diète. Il est hasardeux de juger de son appartenance politique; ilse déclare indépendant, pour le bien du pays et la paix du monde, contreles armes nucléaires. D'abord anticommuniste, il a brusquementconclu un accord avec le Parti communiste japonais, au moins à laDiète, ce qui a fort étonné à l'époque.
On nous a affirmé récemment que leKomeito n'avait plus aucun lien avec la Soka Gakkai, mais nous n'avons pu savoirce qu'il en est exactement : s'agit-il d'une rupture réelle, ou de pureforme ?
La Soka Gakkai a débarqué aux États-Unis, nous dit-on, avec des Japonaises ayant épousé des militaires américains stationnés au Japon, assez désorientées, et qui furent lespremières disciples à l'extérieur du Japon. Il y aurait actuellement 200.000 fidèles de la Nichiren Shoshu aux États-Unis, en majoriténon-Japonais, et des millions dans le monde entier, dont au moins dix millions au Japon.
Aux États-Unis, on ne s'intéresse àl'extension de la Soka Gakkai que depuis quelques années ; ce fut d'abordà cause des protestations d'un certain nombre de prêtres rebelles, quiont même publié des accusations graves contre l'organisation au Japon,parlant de violence, de fraude électorale, de micros posés chez unadversaire politique... La direction rejette ces accusations, tout comme cellesqui sont dirigées contre le président lkeda (goût du luxe, culte dela personnalité, déviations doctrinales...) : tout cela serait comparableà la défection des « cinq moines aînés » refusant dereconnaître comme leur maître celui que Nichiren Daishoni avait désigné commeson successeur avant sa mort ; « ils se prétendaient bons disciples enparoles, mais n'étaient mûs en réalité que par leur intérêtpersonnel »... et victimes des démons « qui apparaissent immanquablement quand on parle du véritable enseignement bouddhique ». (cf. Trois obstacles etquatre démons, par Sansho Shima, Troisième Civilisation, mars 87, p. 20).
La Soka Gakkai en France
Les adeptes se réunissent souvent, mais nevivent pas en communauté. En France, ils ont un centre à Trets(Bouches-du-Rhône). Le prosélytisme est de rigueur - c'est le shakubuku («réfuter et convertir », ou plus littéralement, selon d'autres, «courber et aplatir, ou rectifier »). Mais on ne recrute pas dans la rue, commecertaines sectes. Cela se fait de personne à personne, ou au cours deréunions amicales où on invite des personnes susceptibles d'êtreintéressées. A certains moments, la direction décide un « blitz », unecampagne de recrutement intensif : ainsi, août 1986 fut, aux Etats-Unis, le« mois du shakubuku ». C'est ce qui a déclenché, par réaction, unintérêt accru, les critiques d'anciens membres et de proches d'adeptes actuels : ils'agirait d'un « culte » qui exige une obéissance d'esclave et apour but d'obtenir de l'argent et du pouvoir politique » (Highlander Villager [MN] du 27 août 1986).
L'argent : il n'y a pas de quêtes dans lesrues ou les aéroports... Les adeptes sont certainement amenés àfaire des dons plus ou moins importants, et là aussi, il y aquelquefois des campagnes pour des contributions. La secte vend différentsobjets (du culte) ainsi que des livres. Dans la Far Eastern Economic Reviewdu 26-4-84, Chris Fawcett mentionne qu'en 1962, les huit millions demembres d'alors (au Japon) ont collecté en trois jours 1 57, 58millions de dollars pour la construction de Sho Hondo, le plus grandsanctuaire de la secte, qui fut ouvert officiellement en 1982 : il est,Paraît-il, impressionnant, futuriste, presque « irréel ».
Le but : Kosen Rufu (« enseigner etpropager largement ») : « assurer, par la propagation du bouddhisme orthodoxe etpar sa propre révolution humaine, un bonheur et une paix durable pourl'humanité » (Glossaire).
Les moyens : « Je vous enjoins depratiquer avec assiduité gongyo et daimoku afin de mener une vie quiconnaîtra la satisfaction ultime. Le Gohonzon concrétise la Loi la plus haute.Aucun acte dans la vie n'est plus riche de signification que larécitation de Nam Myoho Renge Kyo devant le Gohonzon ».
« Seule la foi dans le Gohonzon des TroisGrandes Lois ésotériques nous permet de contribuer au bonheur des autres » (Troisième Civilisation, mars 1987 : directives du Président Ikedaconcernant la pratique).
De l'initiation à la pratique
Les nouveaux convertis, après uneinstruction appropriée, sont convoqués à une cérémonie de réception despréceptes (Gojukai) et du Gohonzon.
Selon la Nichiren Shoshu, les préceptes duPetit Véhicule (Hinayanal et du Grand Véhicule lmahayana) sontdépassés : le seul à respecter est la récitation du Daimoku, d'avoir foi en leGohonzon, et la propagation de la Loi.
Celui qui est admis au Gojukai est fermementrésolu à recevoir les trois grandes lois ésotériques - chemindirect pour atteindre la boddhéité - et à rejeter tous les enseignementsprovisoires.
Pendant la cérémonie, le bonze place leGohonzon sur la tête des impétrants, en Posant les trois questionsrituelles :
« Dès à présent et jusqu'à ceque vous soyez Bouddha, rejetterez-vous les enseignements provisoires (3), leurmaître et la signification erronée des enseignements provisoires ?Garderez-vous respectueusement la véritable Loi, le véritablemaître, et l'enseignement définitif du Sûtra du Lotus ? ».
« Dès à présent et jusqu'à ceque vous soyez Bouddha, en rejetant les erreurs des enseignements provisoires,garderez-vous respectueusement la loi définitive (honmon no honzon), lesanctuaire définitif (honmon non kaidan), le daimoku des enseignementsdéfinitifs ? ».
Réponse : « Je le garderai ». «C'est un serment solennel, pour toute la vie, exprimé devant le Gohonzon ».
On aura remarqué1'« exotisme » detout cela : se convertir, ici, c'est vraiment se « nipponiser » (mais celane va pas jusqu'au costume).
Quelques explications sur ces termesmystérieux : le Gohonzon est un rouleau inscrit par Nichiren Daishoninlui-même, qui « concrétisa ainsi la Loi fondamentale ». Coulé dans l'or,le Gohonzon est le principal objet du culte, concrétisant la vie du« Vrai Bouddha ».
La réplique du Gohonzon, remisesolennellement à chaque adepte, est l'objet d'une grande vénération. Il estplacé par chacun, chez lui, sur un petit autel de bois (butsudan) installéà la place d'honneur. « Pratiquer » (c'est-à-dire réciter leDaimoku) devant le Gohonzon placé sur le butsudan équivaut à être en face de Nichiren Daishonin en personne.
Les offrandes : on offre sur le butsudan dufeuillage (plus persistant que les fleurs), des bougies, de l'encens,qui brûle pendant la « pratique » du matin et du soir. Autresoffrandes : le gong ; le chapelet bouddhique de 112 perles (juzu ou nenju).
C'est cette « pratique » qui frappe leplus ceux qui en sont témoins pour la première fois : il s'agit declamer ces cinq mots : Nam Myoho Renge Kyo avec toute l'énergie possible,et de nombreuses fois. C'est encore plus impressionnant (et plus efficace)quand cela se fait en groupe, expression corporelle à l'appui.« Récitée pour la première fois par Nichiren Daishonin le 28 avril 1253,cette phrase constitue la pratique essentielle de la Nichiren Shoshu» (Glossaire). Daimoku, littéralement « titre », c'est celuidu Sûtra du Lotus : Myoho Renge Kyo ; le mot désigne la récitation des cinqmots cités.
Les adeptes retirent de cette récitation,obligatoire matin et soir, une énergie intense. Elle peut êtreprolongée pendant des heures ; ou, pour obtenir la solution d'un problème(santé, affection, métier, succès) un disciple peut décider de faire un millionde daimokus en vue d'un résultat déterminé. Les publicationsde la Soka Gakkai, en France comme aux États-Unis, sont pleines detémoignages : « J'ai transformé des ennuis de santé après avoirrécité 10 heures de daimoku ». - « J'ai récité beaucoup de daimoku... » (etj'ai trouvé un mari).
(à suivre)
(1) Ces définitions sont tirées duglossaire qui figure dans la revue, mais qui ne contient malheureusement pastoutes les traductions des mots japonais qui émaillent les textes. Noustâcherons d'en donner la traduction au fur et à mesure.
(2) Le mot « secte » est employé,sans aucune intention péjorative, pour désigner les diverses tendances dubouddhisme (p. ex. tibétain, japonais [Zen], etc.). L'ensemble du bouddhisme,pourtant très tolérant et divers, ne reconnaît pas la NichirenShoshu, considérée comme « fanatique et intolérante ».
(3) L'abjuration des « enseignementsprovisoires » concerne le rejet du bouddhisme traditionnel du Petit comme duGrand Véhicule, de ses maîtres et de ses coutumes. Bien souvent, quand lestextes disent « bouddhisme », cela veut dire exclusivement NichirenShoshu : absolu, définitif, excluant tout le reste. Et le but ultime estde convertir l'humanité entière à cette doctrine et à cettepratique : la « paix » et "« harmonie » sont à ce prix. On sedemande si Michel Baroin savait qui était vraiment son interlocuteur...
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