"Nous n'avons pas de role politique" "nous sommes pour la paix dans le monde"... L'image bienveillante que veut donner d'elle-meme la secte bouddhique (1) Soka Gakkai (litteralement: societe' pour la creation de valeurs), surtout a l'etranger, s'accompagne mal d'une realite' japonaise plus complexe. Ici, la richissime organisation est au coeur d'un debat enflame': "A la peur des rouges, theme favori du Parti liberal-democrate (PLD, le parti dominant au Japon, ndlr) pendant la guerre froide, a succede' la peur de la Soka Gakkai", resume un bon connaisseur de la vie politique locale.
La virulence des attaques dont fait l'objet la Soka Gakkai traduit l'existence d'un malaise face a l'organisation bouddhiste la plus puissante du Japon (ses biens sont estimes a une centaine de milliards de dollars). La Soka Gakkai revendique plus de 8 millions de fideles dans l'archipel (selon certains experts, ils seraient, en fait, moitie' moins nombreux), plus un million a l'etranger, avec des antennes dans plus de 70 pays, y compris la France. Elle possede, entre autres, un quotidien, le Seikyo Shimbum (plus de 5,5 millions d'examplaires), et sa propre universite', Soka Daigaku. La politique? La Soka Gakkai a commence' a s'y interesser des le milieu des annees 50 en presentant des candidats aux elections locales. En 1964, elle fonde meme son propre parti, le Komeito, le "parti du gouvernement propre". Recemment, ce dernier comptait 52 representants parmi les 511 deputes siegant a la Diete, ainsi que de nombreux elus locaux, surtout a Tokyo. La secte bouddhique n'est pas la seule, parmi les "nouvelles religions", a entretenir des liens avec les milieux politiques (2). La Rissho Kosei-kai (6,5 millions de membres) est connu pour son soutien au PLD. Mais "le mouvement a ete initie' par la Soka Gakkai", explique Teruo Maruyama, specialiste des nouvelles religions.
Conquete du pouvoir. Officiellement, les liens organiques entre la Soka Gakkai et le Komeito sont rompus depuis 1970. A cette epoque, l'importance prise par la secte commencait a inquieter. L'organisation fut accusee d'avoir empeche' la diffusion d'un livre critique (la Soka Gakkai dissequee, de Kotatsu Fujiwara) et l'affaire prit une telle ampleur dans l'opinion que son president de l'epoque, Daisaku Ikeda, devenu entre-temps president d'honneur, dut presenter des excuses, sans toutefois reconnaitre avoir exerce' des pressions. Reste que l'ouvrage ne fut jamais mis en vente par crainte de represailles... "Apres cette campagne, la Soka Gakkai a officiellement abandonne' son objectif d'imposer Nichiren Shoshu comme religion nationale", ajoute Maruyama. Officiellement laique, La _oka Gakkai se reclame de cette ecole de la religion Bouddhiste, fondee par le moine Nichiren au XIIIe siecle. Mais elle fut excommuniee en 1991 pour avoir voulu s'affranchir de l'autorite' spirituelle de Nichiren Shoshu, ce qui sema un certain trouble parmi ses membres.
Ces episodes mouvementes n'ont pas fondalement modifie' les relations entre la secte et le Komeito. En 1994, ce dernier a fusionne' avec plusieurs petits partis pour former le Shinshinto, premiere formation d'opposition. Mais pour la majorite' des deputes, la Soka Gakkai poursuit toujours la meme strategie de conquete du pouvoir, habilement orchestree en sous-main par le maitre inconteste', Daisaku Ikeda, 67 ans. "Une strategie meticuleuse d'infiltration dans les hautes spheres de l'Etat, dit-on dans les rangs du PLD. Chaque annee, l'universite' Soka prepare une partie de ses etudiants aux concours d'entree dans les ministeres." Le ministere des Affaires etrangeres, ou la secte compterait de nombreux membres, serait l'une des cibles principales. Contactee a plusieurs reprises a Tokyo, la Soka Gakkai a refuse' de recevoir Liberation.
Commentateur politique proche du PLD, Kotaro Tawara a resume' recemment les craintes qu'inspire l'organisation: "Si Ikeda et ses fideles prennent le pouvoir, ils exerceront, sans aucun doute, une force tyrannique" (3). Une analyse que confirme un ancien responsable de l'organisation qui refuse d'etre cite': "Quand j'ai quitte' la secte, j'ai ete menace' de mort plusieurs fois, nous raconte-t-il. Nuit et jour, je recevais des coups de telephone anonymes." Depuis, il vit barricade' chez lui. "Quand j'etais membre (jusqu'a l'excommunication de la Soka Gakkai, en 1991,ndlr), l'organisation s'occupait essentiellement de politique. Il y avait peu de place pour la religion. A chaque election, nous etions tous mobilises."
Bientot des ministres? C'est un tout autre tableau qu'avait dresse' en decembre, devant la Diete, le president de la Soka Gakkai, Einosuke Akiya: "Les activites politiques n'occupent qu'une petite partie de notre organisation." Un commentaire qui fait bondir l'ancien dirigeant de la secte: "C'est tout le contraire!", tempete-t-il en brandissant un planning de l'epoque rempli de reunions politiques. Depute' Shinshinto (ex-Komeito), Otohito Endo s'etonne de la virulence du debat sur les liens entre la Soka Gakkai et le monde politique: "Nous avons une conscience religieuse et nous faisons de la politique. Ou est le probleme?" dit-il a Liberation.
Pour Katsuhiko Shirakawa, depute' PLD, le probleme, c'est Daisaku Ikeda et sa stategie de conquete du pouvoir. Le 8 aout 1993, rapporte Shirakawa (3), le "president d'honneur" Ikeda reunit les dirigeants de la secte a Nagano. Le Premier ministre Morihiro Hosokawa est sur le point d'annoncer la formation de son gouvernement, qui comprendra des membres du Komeito. "Ikeda dit (aux dirigeants de la Soka Gakkai): 'Vous avez fait du bon travail. Notre tour est venu. Bientot, notre parti aura des ministres. Vous le savez, Tous ces ministres sont vos hommes. Ne l'oubliez pas.' "
La Diete s'inquiete. Selon le depute' Endo, la Constitution n'interdit pas aux organisations religieuses de s'interesser a la politique. "Bien sur, comme d'autres organisations religieuses, la Soka Gakkai exerce une influence sur les scrutins", dit-il. Il admet meme que la Soka Gakkai a reuni "5 a 6 millions de votes sur les 12,5 millions qui se sont portes sur le Shinshinto" lors des elections a la Chambre Haute, en juillet dernier. Dans les rangs du PLD, en revanche, ou la victoire surprise du Shinshinto a ce scrutin a fait l'effet d'une douche froide, on s'eleve contre une telle immixtion de la secte dans la vie politique en rappelant l'article 20 de la Constitution: "Aucune organisation religieuse(...) ne saurait exercer une autorite; politique."
Exploitant le traumatisme de l'affaire Shinrikyo et de ses onzes morts intoxiques au gaz sarin dans le metro de Tokyo, la majorite' a la Diete a lance' l'an dernier une campagne pour la revision de la loi de 1951 sur les organisations religieuses. Officiellement, il s'agit d'accroitre la transparence des sectes. Mais les leaders de l'opposition y voient surtout un moyen, pour le PLD, de s'en prendre a leur parti. Il est evident, pour tout le monde, au Japon, que la croisade du PLD n'est pas sans arriere-pensees. Mais la Soka Gakkai sait faire preuve de sens politique quand il le faut. Son leader, Daisaku Ikeda, l'a lui-meme avoue' a la BBC, fin 1995: "Nous voulons promouvoir une bonne religion. La religion est un concept metaphysique, mais il est necessaire d'en faire la publicite', comme pour n'importe quel bon produit."
(1) Dans le rapport de la commission d'enquete parlementaire sur les sectes, rendu public le 10 janvier 1996, la Soka Gakkai est classee parmi les "sectes orientalistes". (2) Il existe plusieurs milliers de nouvelles religions au Japon. Nees dans les annees 30, elles ont pris leur essor apres la guerre. (3) Dans un article paru dans le 'Shinshinto et la Soka Gakkai', publie' par Shigatsu-kai (fevrier 1995)
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