" FÊTES & SAISONS ", magazine mensuel catholique, a consacré
son numéro spécial d'Août-Septembre 1995 (n° 497)
aux Témoins de Jéhovah. L'éditorial
du Père Rath, intitulé " Dans l'esprit d'Assise ", ne pourra
que surprendre, ou plutôt scandaliser les victimes de l'organisation
des Témoins de Jéhovah, ainsi que ceux qui prennent courageusement
leur défense. Voici la conclusion de cet éditorial :
"En 1986, à l'initiative de Jean-Paul II une grande rencontre
avait été organisée entre les religions. Aurait-elle
quelque chose à voir aussi avec les sectes ? Que peut bien signifier
l'esprit de cette rencontre d'Assise par rapport aux Témoins de
Jéhovah ? Oui. Les derniers documents du Vatican nous invitent à
changer d'attitude envers les mouvements religieux. Sans condamnation
ni concession, il s'agit définitivement de faire primer la compréhension
sur la polémique. Qui sait si, après tout, les Témoins
de Jéhovah n'ont pas quelque chose à nous faire redécouvrir
? Non seulement ils relancent des questions qui peut-être resteraient
en sommeil, mais surtout ils nous rappellent à toutes et à
tous notre mission de témoins."
Religions ? Sectes ? Mouvements religieux ? Devant
ces confusions de plus en plus répandues, il a semblé utile
de publier, avec son autorisation, l'article du Père Jacques Trouslard
: " Sectes ? Religions ? " paru dans la " VIE DIOCÉSAINE DE SOISSONS
" (1er juin 1995).
Quelle est la différence entre une secte et une religion ?
Cette question est fondamentale, car nous assistons aujourd'hui à
une véritable conclusion, à des amalgames ou à des
généralisations volontairement entretenus, parfois des accusations.
Quelques exemples:
" Les 'nouveaux mouvements religieux' c'est le terme préféré
de manière très générale à celui de
'secte' généralement péjoratif et de maniement délicat
"
" En Occident, le mot 'secte' apris un sens péjoratif.
Les spécialistes préfèrent parler de 'nouveaux
mouvements religieux' ".
" Désigner un groupe du nom de 'secte' est péjoratif,
c'est porter sur lui un jugement défavorable, négatif
".
"Secte": un mot piégé
Le mot "secte", en effet, est un mot piégé que chacun risque
d'utiliser à sa manière, étant donné qu'il
peut revêtir deux acceptions totalement différentes.
L'acception doctrinale
Historiquement, ce mot a été employé par les historiens,
les théologiens, les sociologues en référence à
une notion religieuse, à un contenu doctrinal. On appelait alors
" secte " un groupe de personnes qui avaient décidé
librement de suivre un maître à penser, de vivreselon
l'idéal et les normes du maître et de professer son message.
Ou encore on appelait " secte " une dissidence religieuse qui se
séparait du groupe majoritaire ; bref, selon le Petit Larousse (1971)
: " un ensemble de personnes qui ont la même doctrine ",ou " un ensemble de personnes qui se sont détachées
d'une communion religieuse ".
Comme on le voit, ces différentes définitions se réfèrent
à une doctrine et cette acception doctrinale ne comporte aucune
connotation péjorative.
L'acception comportementale
Avec l'avènement des " nouvelles sectes ", réel
phénomène sociologique, un glissement, une évolution
sémantique se sont opérés. C'est ainsi que dans le
langage courant, dans les médias, dans l'opinion publique, le mot
" secte " a pris désormais une connotation péjorative
et a fini par désigner pratiquement mais uniquement les sectes dangereuses,
destructrices. On peut même remarquer, que ce mot " secte ",
qui, bien évidemment, n'est pas l'objet et ne sera peut-être
jamais l'objet d'une définition juridique, apparaît de plus
en plus, en ce sens, dans les attendus des Tribunaux, des Cours d'Appel,
du Conseil d'État et de la Cours de Cassation. Les mots s'usent,
évoluent : cf. le mot " drogue " qui désignait autrefois
des ingrédients propres à la teinture, à la chimie,
à la pharmacie et non pas les stupéfiants comme la cocaïne
ou la morphine. Quand mes parents allaient chez le droguiste, ils achetaient
à la droguerie des produits de ménage ou d'hygiène.
Donc, ce mot a évolué : hier on l'employait pour désigner
des groupes religieux ou philosophiques sur un plan doctrinal.
Aujourd'hui on l'emploie pour dénoncer les comportements sectaires,
les groupes totalitaires, sur un plan comportemental " (1).
Les Sectes sous le masque religieux
Les " Sectes sectaires " ont bien compris l'intérêt
de cette ambiguïté des termes et l'utilité de se présenter
comme des " religions ", y compris celles qui, au départ
faisaient ouvertement profession d'athéisme. D'autant plus qu'elles
espèrent ainsi obtenir certains avantages fiscaux ou juridiques
réservés aux associations cultuelles. En se parant indûment
d'un masque religieux, elles entendent donner d'elles-mêmes une image
d'honorabilité et de respectabilité. Redoutant plus que tout
que leur soit appliqué le vocable désormais si péjoratif
de " secte ", elles veulent être appelées " religions
", " églises ", " nouveaux mouvements religieux ". Céder
à cette demande serait une erreur grave qui contribuerait à
entretenir la confusion, car il est clair qu'il existe des sectes qui ne
sont pas des religions, des religions ou des nouveaux mouvements religieux
qui ne sont pas des sectes, et que des vieilles religions peuvent devenir
des sectes.
Enfin pour se protéger contre toute accusation, il ne restait
plus qu'à invoquer le motif de discrimination en matière
religieuse et se déclarer des religions ou des philosophies minoritaires
persécutées, victimes de l'intolérance et du mépris.
Dans sa communication au Congrès de Barcelone (25 avril 1993),
Alain Vivien, ancien ministre, chargé, en 1981, du rapport sur les
" Sectes en France " soulignait " que dans leur immense majorité,
les sectes placent leurs objectifs sous l'égide du sentiment religieux.
Cet affichage permet de protéger ainsi sous un rideau de fumée
la banale exploitation de l'homme par l'homme dissimulée sous les
notions incontestables de la liberté de pensée, de croyance
ou d'association. Il permet aussi à ces sectes de revendiquer de
la part des pouvoirs publics un traitement similaire à celui dont
jouissent les confessions (qu'elles soient largement répandues ou
encore minoritaires) qui se refusent à utiliser des méthodes
d'endoctrinement destructives et récusent l'emploi des méthodes
de manipulation. Enfin, l'objectif religieux déclaré permet
aux sectes de retourner contre leurs adversaires les arguments qu'ils leur
opposent : si vous dénoncez mes méthodes, vous me persécutez,
c'est vous qui êtes sectaires ... "
Il convient donc de préciser ce que l'on entend communément
par "secte".
Qu'est-ce qu'une Secte ?
Pour qualifier un groupe de " secte ", il faut s'occuper de ses
croyances ou de ses doctrines, mais observer uniquement les agissements
ou les comportements qui portent gravement atteinte à la dignité,
à la liberté de la personne humaine, aux Droits de l'Homme.
Plutôt qu'une définition, je proposerai une description de
ce qu'est une secte.
Pour qualifier un groupe de "secte", on retiendra un seul critère:
celui de la nocivité ou de l'extrême dangerosité et
trois caractéristiques: la manipulation mentale, une triple destruction,
et une triple escroquerie.
a) Une triple technique perverse d'endoctrinement
la technique cognitive : à partir d'un message séducteur
mais réducteur, l'adepte est soumis à un véritable
bourrage de crâne, un matraquage intellectuel, lavage de cerveau
(multiples réunions, cours stages, séminaires, études,
lectures, auditions de cassettes, prières) qui vont lui faire perdre
progressivement son esprit critique en ce qui concerne les théories,
méthodes et pratiques de la secte.
la technique comportementale : bien connue des psychologues ou des
psychiatres, qui consiste à faire poser des actes anodins au départ,
mais de plus en plus accaparants, qui provoquent une soumission et une
dépendance, entraînant une perte du libre arbitre.
la technique affective : les adeptes sont séduits par les
charismes du leader, par son message, par le groupe, puis détruits
ou déstructurés, et entièrement reconstruits. Ils
deviennent, à leur insu, des inconditionnels prêts à
croire, dire et faire tout et n'importe quoi.
b) Une triple destruction
la destruction de la personne : soit sur un plan physique, mais
surtout et principalement, sur un plan psychique, comme on vient de le
décrire précédemment.
la destruction de la famille : qu'il s'agisse de la rupture des
enfants avec leurs parents, ou de séparations ou de divorces.
la destruction de la société : soit par une stratégie
d'ingérence ou d'infiltration soit par une stratégie du désert.
c) Une triple escroquerie
l'escroquerie intellectuelle : l'adepte est littéralement
trompé sur la qualité de la marchandise qu'il venait chercher
: il posait une vraie question, on lui donne une fausse réponse.
Le message de la secte était séducteur, il se révèle
réducteur et destructeur.
l'escroquerie morale : si elle n'est pas générale
dans toutes les sectes, de nombreux adeptes ont été ou sont
victimes d'abus sexuels, en tous genres.
l'escroquerie financière : par leurs manoeuvres frauduleuses
persuadant (leurs adeptes) de leurs pouvoirs imaginaires (religieux ou
médicaux), les sectes parviennent à constituer de véritables
empires financiers.
La défense des libertés
D'après cette définition des sectes nocives, il est clair
qu'une action, basée sur des preuves objectives, doit être
entreprise pour défendre les libertés fondamentales qui sont
bafouées et violées par les méthodes et les pratiques
sectaires. Il serait violent de voir accusé d'intolérance,
de parti-pris, d'atteinte à la liberté religieuse, ceux qui,
non sans courage, n'ont comme objectif que la défense des familles
et de l'individu contre les manipulations mentales pratiquées dans
les sectes.
Plus que d'autres citoyens, nous sommes passionnés pour la défense
de toutes les libertés: la liberté de pensée, de conscience,
de religion, d'association, et pour réaffirmer (et agir en conséquence)
que " nul ne doit être inquiété pour ses opinions,
même religieuses ", à condition de citer entièrement
cet article X de la déclaration des Droits de l'Homme (1789): "
pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi
par la loi ". Nous affirmons et confirmons par notre action que, selon
la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (1948) : " toute
personne a droit à la liberté de pensée, de conscience
et de religion : ce droit implique la liberté de changer de religion
ou de conviction ainsi que de manifester sa religion ou sa conviction,
seul ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement,
les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites, et que tout individu
a droit à la liberté d'opinion ou d'expression, ce qui implique
de ne pas être inquiété pour ses opinions, etc... "
(Articles 18-19).
En tant que prêtre de l'Église catholique, non seulement
je partage ces principes fondamentaux, mais ma foi m'a appris depuis longtemps
que : " Qui blesse l'homme, blesse Dieu " et le Concile Vatican
II a promulgué le 7 décembre 1965 une "Déclaration
sur la liberté religieuse ".
Dès lors convient-il de lutter avec la même détermination
contre les groupes sectaires qui portent atteinte aux droits fondamentaux
de la personne humaine, de la famille et violent délibérément
les règles de la vie sociale. Il serait sage de relire et de mettre
en pratique la " Déclaration sur l'élimination de toutes
les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur
la religion ou la conviction ", adoptée le 25 novembre 1981
par l'Assemblée Générale des Nations Unies: " La
liberté de manifester sa religion ou sa conviction a pour limite
les lois nécessaires à la protection d'autrui " (Article
4, 5ème alinéa).
Moralité : ne pas confondre secte et religion.
Jacques TROUSLARD
(1) : L'emploi de ce terme "
comportemental " ne s'inspire absolument pas du courant béhavioriste
ou comportementaliste et n'autorise personne à affirmer que cette
approche est réductrice et comportementaliste.