1955 - Naissance de Chiuzo Matsumoto (qui s'appellera plus tard
Shoko Asahara) dans l'île de Kyoushou (au sud du Japon), 6ème
des 7 enfants d'un fabricant de tatamis. Ayant un oeil aveugle, l'autre
malvoyant, il est envoyé dans une école (gratuite) pour jeunes
aveugles. Il y domine et exploite ses condisciples, entièrement
aveugles. Orgueilleux et ambitieux, il ne réussit cependant pas
l'examen d'entrée à l'Université. Il s'établit
acupuncteur.
1978 - Il épouse une étudiante, Tomoko Ishii, dont
il aura 6 enfants. Il ouvre une boutique de remèdes chinois traditionnels.
1982 - Il est arrêté pour vente de traitements bidon,
et condamné à 200.000 yen d'amende. Faillite.
1984 - Il ouvre une école de yoga sous le nom d'Asahara.
Il passe quelque temps dans un ashram de l'Himalaya (Népal) et en
revient en se vantant d'être parvenu au satori (illumination
suprême, en japonais) et de savoir léviter. Il montre
sa photo avec des moines tibétains, et même le Dalai Lama,
qu'il cite : "Asahara a l'esprit d'un Bouddha, et a la mission de rendre
la vérité".
1987 - Fondation de Omu Shinri Kyo, déclaré officiellement
comme religion.
1990 - Omu Shinri Kyo présente des candidats à la
Diète japonaise (Parlement); aucun élu. Il commence à
se donner les titres de "Christ d'aujourd'hui" et "Sauveur de ce siècle".
La secte a une extension rapide au Japon avec des succursales dans tout
le pays, établit quelques têtes de pont aux États-Unis,
en Allemagne et réussit bien en Russie (voir ci-dessous).
1993 - Il serait venu en France du 31/7 au 07/8 pour étudier
Nostradamus.
Doctrine
Bouddhiste de nom, la doctrine est plutôt un pot-pourri d'éléments
hétéroclites : culte de Shiva (dieu hindouiste de la destruction),
éléments du Nouvel Age, occultisme (un de ses héros
: Hitler, "maître de l'occulte"). Le satori ne lui a pas donné
la sérénité : il est obsédé par l'idée
de conspirations visant à détruire le Japon. Bête noire
: les États-Unis et leurs alliés occidentaux, créatures
des Francs-maçons et des Juifs. Instruments de destruction : le
fast
food, le sexe et des armes plus violentes (chimiques et nucléaires).
La secte annonce la fin du monde entre 1997 et 2.000. De plus
en plus autoritaire, Shuko Asahara se fait adorer, baiser l'orteil. Ses
disciples achètent très cher un mélange de ses sécrétions,
qu'ils boivent.
Adeptes
Il y a environ 10.000 adeptes au Japon. La secte y possède son centre
principal à Kamikuishiki, à 100 km de Tokyo, non loin du
Mont Fuji. Ses adeptes sont des personnes âgées et riches
qui disparaissent après avoir donné tous leurs biens, mais
aussi des jeunes scientifiques de haut niveau, des avocats et même
des membres de la police et des forces armées. Les adeptes à
temps plein quittent leurs familles (parents, épouses), donnent
tous leurs biens au gourou et travaillent pour lui (laboratoires, usines,
hôpital).
Particularités :
adeptes munis d'un casque avec électrodes, sur piles, leur permettant
de "synchroniser leurs ondes cérébrales avec celles du gourou",
les enfants, élevés dans la secte, mal nourris, isolés
du monde.
Les événements
1989 - 4 novembre : un avocat, Tsutsumi Sakamuto, sa femme et son
fils de 14 mois disparaissent. Il représentait un groupe de familles
qui avaient porté plainte contre la secte. La police a abandonné
les recherches. (Dénouement : voir 1995).
1994 - D'autres "incidents" graves :
en juin, à Matsumoto où la secte avait une vaste propriété,
des émanations de gaz ont tué 7 personnes et blessé
200 autres. Les résidents étaient en conflit avec la secte.
Mort d'un pharmacien, Kotaro Ochida, dans un hôpital de la secte.
Affaire Kioshi Kariya, notaire et frère d'un adepte. Il refusait
de donner sa part d'héritage. Enlevé par quatre jeunes gens
sautant d'une camionnette. Enquête abandonnée ; affaire classée.
1995
19 mars : la police d'Osaka fait irruption dans un bureau de la secte et
libère un étudiant qui affirme être retenu contre son
gré.
20 mars : attentats au gaz sarin dans le métro de Tokyo, en plein
centre, a une heure d'affluence. Bilan final : 12 morts et 5.500 blessés,
plus ou moins grièvement. Asahara et ses avocats et lieutenants
protestent avec véhémence de leur innocence ; accusent la
police, les Américains etc.
D'autres attentats ou tentatives suivent :
30 mars : le chef de la police japonaise est grièvement blessé
de quatre balles.
5 mai : un attentat au cyanure est évité de justesse. La
police mène alors les enquêtes vigoureusement. Jusque là,
elle savait beaucoup de choses, mais était réticente, n'osait
pas conduire des investigations sur un groupe religieux, craignant d'être
taxée d'intolérance et d'atteinte aux libertés. Chaque
jour apporte son lot de découvertes : à Kamikuishiki, 50
personnes sont retrouvées entassées dans une chapelle, presque
mortes de faim et de déshydratation - en présence de quatre
médecins. On découvre d'énormes quantités de
produits chimiques utilisés pour la fabrication de gaz toxiques
: il y avait de quoi tuer quatre à six millions de personnes au
moins (50 tonnes de gaz sarin).
16 mai : le gourou est arrêté (avec 14 adeptes) à son
QG de Kamikuishiki, près du Mont Fuji. Il était caché
dans un réduit ménagé entre deux planchers, guère
plus grand qu'un cercueil. Il avait sur lui 117.000 dollars en espèces.
Il est emprisonné et inculpé de meurtre et tentative de meurtre.
D'autres chefs d'inculpation s'y ajouteront par la suite.
24 mai : le chimiste en chef de la secte aurait avoué (selon la
police) que la secte produisait du gaz sarin pour le répandre sur
Tokyo au moyen de 12 hélicoptères télécommandés.
240 kg étaient prêts pour novembre. Le 20 mars, 10 kg seulement
ont été utilisés. On n'a retrouvé qu'un gros
hélicoptère russe MIL Mi-17, deux autres petits à
télécommande et des stocks de pièces pour armes.
26 juin : arrestation de sa femme Tomoko Matsumoto, inculpée pour
le meurtre de Kotaro Ochida. Dès ce jour, le gourou, qui a d'abord
refusé de parler, aurait avoué le meurtre de Kotaro Ochida,
lynché sur ses ordres par plusieurs adeptes, en sa présence
et celle de sa femme.
4 septembre : début du procès de 80 adeptes, inculpés
de préparatifs de meurtre, enlèvements, séquestration,
fabrication de drogues et d'armes.
6 septembre : la police retrouve les cadavres de l'avocat Tsutsumi Sakamoto
et de sa femme (sur les indications d'un adepte emprisonné). Le
cadavre du bébé n'a pas été retrouvé.
12 novembre : le gourou, déjà inculpé d'avoir ordonné
tous les crimes commis par ses adeptes, l'est, en plus, d'avoir ordonné
à ses chimistes la fabrication de LSD et d'autres hallucinogènes
; ils devaient être utilisés, en même temps que les
gaz toxiques, afin de créer le chaos complet dans les grandes villes
du Japon.
Novembre : le procès de Soko Asahara n'a pas encore commencé
et sera considérablement retardé : en effet le gourou a récusé
son avocat. Le nouvel avocat devra se familiariser avec un volumineux dossier.
D'autre part, il n'est pas facile d'en trouver un autre. Les avocats japonais
pensent qu'ils attireraient la honte sur leur famille et leur réputation,
en défendant un homme qu'ils estiment mauvais, et qui enseignait
aux enfants de ses adeptes qu'Adolphe Hitler était un grand homme,
et qu'il est toujours en vie.
Dès avant le procès de Soko Asahara, l'affaire a déjà
eu des conséquences au Japon et dans le monde. Au Japon, ce fut
le choc, qui continue à se faire sentir. On avait l'impression,
dans ce pays où la société est toujours remarquablement
homogène (dans l'ensemble), la tradition familiale solide, l'autorité
respectée, que le terrorisme était une spécialité
occidentale et particulièrement américaine. Et voilà
qu'une religion tout à fait autochtone, se réclamant
du bouddhisme, avait prémédité de longue main, organisé
et exécuté des attentats meurtriers visant toute la population.
C'était une secousse pire que le tremblement de terre de Kobé.
Les conséquences politiques sont elles aussi importantes.
0n s'est aperçu qu'Aum avait des adeptes-informateurs jusque dans
la police japonaise, avait recruté dans les milieux scientifiques,
chez les avocats, et dans la classe dirigeante.
Le 9 octobre, un jugement du tribunal de Tokyo prive Aum de son
statut d'association religieuse, en raison de ses activités criminelles
telles que la fabrication du gaz toxique sarin. Un liquidateur sera nommé
pour vendre les actifs du groupe, dont l'estimation varie entre 300 millions
et 1 milliard de dollars. (biens immobiliers, boutiques d'informatique,
maison d'édition, agence de voyages, restaurants populaires, et
même une agence de rencontres ; sans parler des comptes bancaires).
Le produit de la liquidation servira en priorité à indemniser
les familles des victimes. L'avocat de la secte a annoncé son intention
de faire appel.
Un projet de loi présenté par le gouvernement japonais
prévoit que les organisations religieuses établies dans plus
d'une préfecture devront désormais être déclarées
auprès du ministère de l'Éducation, déposer
la liste de leurs biens et de leurs responsables. Le ministère aurait
également la possibilité de vérifier leur comptabilité.
Ces dispositions ne paraissent pas gênantes pour les religions au
sens ordinaire du mot ; la population japonaise, dans sa grande majorité,
y voit un minimum. Mais le principal parti d'opposition, le Shin shinto
(Nouvelle Frontière), créé par la secte Soka
Gakkai (en remplacement et élargissement du Komeito) manifeste
son opposition, de même que le cardinal archevêque de Tokyo,
Mgr Shiranayagi, qui y voit une menace pour la liberté religieuse.
AOUM en Russie
Présent en Russie dès 1986, Aum s'est lancé en 1992,
avec une campagne en fanfare ; plusieurs millions de dollars ont été
dépensés pendant les premiers mois : émission quotidienne
sur Radio-Majak, programme hebdomadaire d'une demi-heure sur une chaîne
de télévision privée, publicité dans les journaux,
milliers de tracts et affiches, et même annonces sur le système
de sonorisation du métro de Moscou.
Et surtout, Aum s'est introduit dans l'appareil d'État,
grâce à Oleg Lobov, secrétaire du Conseil de sécurité
de la Fédération de Russie, un des plus proches collaborateurs
du Président de cette Fédération, ainsi qu'à
Alexandre Rutskoï, alors vice-Président, et Ruslan Khasbulatov,
président du Soviet suprême. Lobov est devenu président
de l'" Université russo-japonaise ", installée en plein centre
de Moscou. Si son programme était plus que vague, elle servait surtout
à abriter la branche russe d'Aum. Asahara et ses lieutenants avaient
des visas permanents pour la Russie, roulaient dans des limousines avec
plaques d'immatriculation officielles.
Dès cette année 1992, Aum était déclaré
comme religion au ministère de la Justice (à la mi-1994,
il y a eu une deuxième déclaration sous le nom de "Doctrine
de la vérité Aum"). Des initiations de masse avaient lieu
au stade olympique de Moscou. L'organisation en zones et régions
était rigoureuse, hiérarchisée, les postes de direction
étant occupés par des Japonais. En janvier 1995, Aum disait
avoir 35.000 adeptes à Moscou et sept succursales en Russie (entre
autres St Petersbourg, Mourmansk, Archangelsk, et jusqu'en Sibérie).
Pour les Russes, Asahara insiste particulièrement sur le
fait qu'il est le véritable Christ ; il dit avoir découvert
le vrai sens de l'Évangile ; bouddhisme et christianisme,
selon lui, sont totalement identiques. Mais Asahara a dépassé
le christianisme : "Jésus-Christ a été crucifié,
mais moi, le prochain Christ, je ne serai pas crucifié, mais j'irai
plus loin et je répandrai la vérité sur le monde entier".
Jésus est venu pour conduire les âmes dans les cieux saints
- Asahara les emmènera encore plut haut : au Nirvana, "le monde
de la grande et complète destruction des convoitises terrestres".
("Declaring myself the Christ", traduit et édité par Aum,
Shisuoka, Japon, 1992). Malgré cette assertion ("moi, je ne serai
pas crucifié"), il se fait représenter sur la couverture
du livre, en crucifié, une couronne d'épines sur la tête,
nu, sauf un morceau d'étoffe autour des reins. Cette image devait
sans doute servir à appâter le public russe en donnant l'impression
qu'il s'agissait d'un livre sur le christianisme. Pour les Russes également,
il insiste sur les complots criminels des Francs-maçons et des Juifs.
Malgré de nombreux cris d'alarme, les protecteurs russes
d'AUM n'avaient rien voulu voir - il a fallu les attentais du métro
de Tokyo pour que le tribunal de Moscou prononce l'interdiction d'Aum,
et qu'une nouvelle loi sur les "sectes" soit votée à la Douma.
Lobov et Rutskoï n'ont pas l'air particulièrement embarrassés.
On frémit pourtant en pensant aux facilités que son association
avec la sécurité militaire russe ouvrait à Aum. Non
seulement elle a pu se procurer toute sorte de produits chimiques toxiques
en grande quantité, mais le gourou et ses proches (avant leur arrestation)
brandissaient la menace nucléaire - et on sait tout ce qu'il est
possible de se procurer en Russie. (Aum avait d'ailleurs acquis des terrains
uranifères en Australie).
Au printemps 1995, Aum a disparu de la scène publique en
Russie. Mais d'autres organisations, encore plus puissantes, sont toujours
là et étendent leur pouvoir, avec l'appui de responsables
politiques.