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Applaudissements. Pourtant, au premier rang, ses proches lui envoient des ondes positives. Public inhabituel pour une soutenance de thèse: un âge moyen avancé, des femmes pleines de bijoux, de maquillage et d'admiration pour Elizabeth, flanquées de maris somnolants. Devant la candidate, un jury de quatre universitaires. Derrière, quelques scientifiques, venus constater l'ampleur des dégâts. Sous l'effigie de Descartes, Elizabeth Teissier entame la lecture de son introduction, vingt minutes d'un débit continu, où la sociologie tombe dru. «Joie heuristique», «socle kantien», «holisme», «doxa» se bousculent. D'où il ressort que la spécialiste des astres a fait des efforts pour se détacher de sa passion et appréhender l'astrologie comme n'importe quel fait social. Son travail porte donc sur le «malentendu» que l'astrologie véhicule, entre «attraction multiformes» et rejet puisque «cet art» a été «relégué au rang de barbare et de paria». L'ancien mannequin a donc voulu «chercher les causes de cet abîme». A la minute près, elle achève son intervention dans le temps imparti, avec une citation de Shakespeare. Dans la salle, le public enthousiasmé applaudit. «On n'est pas au théâtre!» le rappelle à l'ordre le président du jury, Serge Moscovici.
Le directeur de la thèse, le sociologue Michel Maffesoli, prend la parole pour une molle défense. Un travail comme celui-ci a sa place dans le débat universitaire, estime-t-il. Mais, prudent, il préfère mettre les points sur les i. Il rappelle donc que l'astrologie n'est pas scientifique et, qu'en aucun cas cette thèse ne peut «légitimer une activité professionnelle», hors des murs de l'université. Il tapote les deux tomes, qu'il trouve «bien écrits», avec un «plan cohérent». «C'est un travail conséquent de 900 pages.» «Un peu plus», lui souffle Teissier. «Taisez vous. Je vous ai dit de n'interrompre personne», coupe son directeur. Le sociologue regrette le chapitre consacré aux médias. Le ton y est «plus cavalier», les références souvent «inutiles et mondaines, pas maîtrisées». En résumé: «L'aspect polémique ressort.»
Une philosophe du jury se lance dans une longue intervention plutôt élogieuse. Qui produit un effet inattendu: dans la salle, un spectateur quitte l'amphithéâtre en lâchant tout fort: «C'est une farce!» A 14 h 30, Elizabeth, interrogée sur le lien social que l'astrologie peut représenter, patauge. Pendant quelques minutes, elle s'embrouille, puis, inspirée: «L'homme de la rue est comme une carte à puces qui réagit selon les rythmes du ciel qui l'ont vu naître. D'où la reliance avec l'autre, et les affinités, oui, comme les Affinités électives de Goethe.» Le jury reste silencieux. Avant de sortir le lance-roquettes. Sur la forme: «Dans schizophrénie, évitez le y». Sur la méthode: «Vous n'avez pas su maintenir une distance assez forte.» Sur les références: «Vous utilisez les auteurs comme des pavillons de complaisance.»
Elizabeth ne se laisse pas décontenancer. Au contraire. L'attaque la galvanise. La voilà partie vers sa spécialité, l'apologie de l'astrologie. Irrité mais souriant, le président du jury oublie carrément la thèse et se lance sur le même terrain: «Il faudra s'habituer à cette idée: l'astrologie ne relève pas de la science.» L'ancienne astrologue de Mitterrand réplique: «De toute façon, j'ai écrit 900 pages qui ne vous ont pas convaincu, alors...» La sociologie est bien loin, on polémique comme à la télé: «Vous ne pouvez pas taxer l'astrologie de magie, plaide Elizabeth. Il y a des techniques de vérifications empiriques. Cela n'a rien à voir. De toute façon, on sait maintenant que l'unique vérité est vibratoire.»
Cocktail. 16 heures, le jury après délibération,
juge Elisabeth Teissier «digne du titre de docteur en sociologie»,
avec mention très honorable. En clair, une gratification moyenne.
Ses fans s'en moquent, et l'acclament debout. Elisabeth fond en larmes.
Les scientifiques présents dans la salle sortent les tracts. «Il
y a certainement des âneries scientifiques dans ce texte. En plus,
elle fait un véritable plaidoyer pour l'enseignement de l'astrologie
à l'université. Elle a un discours militant», dénonce
ainsi Jean-Pierre Krivine, membre de l'Afis. Ecourés, les chercheurs
promettent de passer la thèse au crible, si possible
avant sa parution en bibliothèque, dans un mois et demi.
Au pot de thésard, d'ordinaire chips et cacahuètes, Elizabeth
Teissier a renouvelé le genre avec petits fours, champagne, et maître
d'hôtel. On parle astres, zodiaque, ciel. Aucun thésard ne
peut se prévaloir de son titre avant que son ouvrage n'ait trouvé
sa place en bibliothèque mais, avisée par les planètes
sans doute, Elizabeth Teissier avait anticipé l'obtention de son
diplôme et invité sur carton ses amis à fêter
son «doctorat en sociologie flambant neuf». En partant,
avant de regagner sa
voiture immatriculée en Suisse, la spécialiste des horoscopes
pose dans la cour de la Sorbonne, devant une rangée de photographes.
Et, enlevant ses verres teintés Chanel, clame fièrement:
«Il
a fallu attendre 350 ans le retour de l'astrologie à la Sorbonne.
C'est beau.»
Cher(e) collegue,
Veuillez trouver ci-joint le texte de la pétition ASES (Association des sociologues de l'enseignement supérieur) à propos de l'affaire Elisabeth Tessier. Cette pétition sera proposée à la presse la semaine prochaine (le cas échéant publiée à nos frais avec la liste des signataires). Si vous soutenez cette pétition merci d'envoyer un mail avec pour objet "OUI à la pétition ASES" et comme texte simplement votre nom, prénom et lieu d'affectation. Diffusez cette pétition à l'ensemble de vos correspondants de la discipline. Le courrier électronique sera le seul moyen utilisé pour la diffusion. Les réponses sont centralisées à l'adresse suivante : cibois@francenet.fr
Aussi lorsqu'une candidate, durant la soutenance de sa thèse, revendique l'accès de l'astrologie au rang de discipline universitaire, elle adopte une démarche radicalement contraire à ces principes. Cet événement ne saurait se limiter cependant au cercle étroit de l'académisme universitaire. La sociologie non seulement a su s'ériger comme une discipline scientifique reconnue mais elle occupe dans la société et dans le débat intellectuel une place forte et appréciée.
Aussi, la soutenance de thèse de Mme Teissier, ses dérives médiatiques et surtout l'usage qu'elle en fait, en remettant en cause les principes scientifiques, le sérieux et l'utilité sociale de notre discipline, portent un préjudice grave à l'université, à la sociologie française et à l'ensemble de notre profession.
Nous prions donc instamment et avec solennité le Président de l'université de Paris V de surseoir à l'enregistrement de la thèse de Mme Teissier et de faire procéder par des experts indépendants et reconnus à un réexamen approfondi de ses travaux.
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