L'origine de cette conception est à rechercher dans l'article 10 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen qui dispose que " nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public institué par la loi " . Les rédacteurs de la Déclaration ont ainsi clairement posé le principe de la neutralité de l'Etat, de sa discrétion à l'égard des opinions religieuses.
Cette attitude doit être complétée par une approche plus positive, qui confie à l'Etat le soin d'assurer à chacun le libre exercice de la religion qu'il a choisie : l'article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 précise ainsi que la France, République laïque, " assure l'égalité devant la loi des citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion " et qu'elle " respecte toutes les croyances " . Cette consécration constitutionnelle récente avait été ébauchée par le préambule de la Constitution de 1946 qui, quels que soient les débats relatifs à sa portée juridique, rappelait l'attachement du peuple français à la déclaration de 1789 et aux " principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ".
Le régime juridique des cultes qui résulte d'une telle conception de la laïcité est tout entier contenu dans les deux premiers articles de la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l'Etat, qui disposent que " la République assure la liberté de conscience ] garantit le libre exercice des cultes " (art. 1) et qu'elle " ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte " (art. 2).
Le principe de neutralité de l'Etat signifie donc que les croyances religieuses ne sont pas un fait public sous réserve des restrictions liées au respect de l'ordre public, que le fait religieux relève des seuls individus, de la seule sphère privée des citoyens.
Ainsi s'explique que l'Etat, fidèle à son " indifférence " affichée à l'égard des religions, n'ait jamais donné une définition juridique de celles-ci. Si la doctrine admet qu'elles se caractérisent par la réunion d'éléments subjectifs (la foi, la croyance) et d'éléments objectifs (le rite, la communauté), nulle définition d'une religion ne peut être constatée dans le droit positif.
Celui-ci se borne à réglementer la vie des structures juridiques ainsi que des pratiques sociales qui constituent le support des religions (associations, cultuelles ou non, congrégations religieuses) ; il n'opère aucune distinction juridique entre les différents cultes, n'effectue aucune discrimination, positive ou négative, entre eux.
On conçoit dès lors l'impossibilité juridique de définir les critères permettant de définir les formes sociales que peut revêtir l'exercice d'une croyance religieuse, a fortiori de distinguer une Eglise d'une secte.
La commission d'enquête a donc été confrontée
dès le début de son activité au paradoxe de devoir
travailler sur un secteur juridiquement inexistant. Sa position était
d'autant plus délicate que, impossible à définir en
droit, la notion est également difficile à manier dans le
langage courant.
Cette hésitation sur l'origine sémantique imprègne aujourd'hui encore l'ensemble des dictionnaires.
Significative est la définition fournie par le dictionnaire Littré, pour qui la secte est " l'ensemble des personnes qui font profession d'une même doctrine " ou " qui suivent une opinion accusée d'hérésie ou d'erreur ".
Le dictionnaire Robert distingue quant à lui entre les personnes " qui ont la même doctrine au sein d'une religion " et celles qui " professent une même doctrine ".
Dans tous les cas, les deux origines supposées de la notion induisent, simultanément ou alternativement, les deux idées de croyance commune et/ou de rupture par rapport à une croyance antérieure.
C'est sur ce concept de rupture qu'insiste le dictionnaire des
religions (PUF, 1984) qui définit la secte comme " Au sens originel,
un groupe de contestation de la doctrine et des structures de l'Eglise,
entraînant le plus souvent une dissidence. Dans un sens plus étendu,
tout mouvement religieux minoritaire ".
Ernst Troeltsh a poursuivi l'oeuvre de Weber et souligné
que l'Eglise est prête, pour étendre son audience, à
s'adapter à la société, à passer des compromis
avec les États. La secte, au contraire, se situe en retrait par
rapport à la société globale et tend à refuser
tout lien avec elle, et même tout dialogue. Elle a une attitude identique
à l'égard des autres religions, de sorte qu'en ce sens l'oecuménisme
pourrait servir de critère pour distinguer Eglise et secte.
Le langage moderne a été fortement marqué par cette connotation péjorative : de nos jours, le terme " secte " fait référence à des mouvements religieux ou pseudo-religieux d'apparition récente, minoritaires, sécessionnistes ou non.
Le débat sur les " sectes dangereuses " ou les " dérives sectaires " a encore accentué l'aspect péjoratif du concept.
Plusieurs personnalités entendues par la Commission ont développé devant elle des approches de la définition des sectes fondées sur la dangerosité des mouvements. L'une d'entre elles a formalisé ainsi le résultat de cette démarche, en donnant comme définition des sectes :
Ces groupes utilisent des masques philosophiques, religieux ou thérapeutiques pour dissimuler des objectifs de pouvoir, d'emprise et d'exploitation des adeptes. "
La Commission n'a pas la prétention de réussir ce à quoi tous ceux qui travaillent sur la question des sectes, souvent depuis de nombreuses années, ne sont pas parvenus, c'est-à-dire donner une définition " objective " de la secte, susceptible d'être admise par tous. Les travaux de la Commission s'appuient donc sur un certain nombre de choix éthiques qu'elle ne cherche pas à dissimuler.
Parmi les indices permettant de supposer l'éventuelle réalité de soupçons conduisant à qualifier de secte un mouvement se présentant comme religieux, elle a retenu, faisant siens les critères utilisés par les Renseignements généraux dans les analyses du phénomène sectaire auxquelles procède ce service et qui ont été portées à la connaissance de la Commission :
Elle a été consciente que ni la nouveauté, ni le petit nombre d'adeptes, ni même l'excentricité ne pouvaient être retenus comme des critères permettant de qualifier de secte un mouvement se prétendant religieux : les plus grandes religions contemporaines ne furent souvent, à leurs débuts, que des sectes au nombre d'adeptes réduit ; bien des rites établis et socialement admis aujourd'hui ont pu à l'origine susciter des réserves ou des oppositions.
Le champ de son étude a ainsi été volontairement restreint à un certain nombre d'associations réunissant, le plus souvent autour d'un chef spirituel, des personnes partageant la même croyance en un être ou un certain nombre d'idées transcendantales, se situant ou non en rupture avec les religions " traditionnelles " (chrétienne, musulmane, hindouiste, bouddhiste) qui ont été exclues de cette étude, et sur lesquelles ont pu, à un moment ou à un autre, peser le soupçon d'une activité contraire à l'ordre public ou aux libertés individuelles.
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