Les enfants dans la secte AAO

(source : BULLES, 2ème trimestre 1985)

A.A.O. (Organisation d'Analyse Actionnelle pour une pratique de vie consciente) a été fondée en 1976 par Otto Mühl, à Friedrichshof en Autriche. Sa doctrine est basée sur une sorte d'anarchisme fasciste et sur des thèses psychanalytiques inspirées de Wilhelm Reich.


V. avait deux ans quand P. et moi avons décidé de former un groupe AAO à Strasbourg, « Théâtre 9 ». Au début, il y eut un roulement pour le garder et Ralph, notre premier « guide », nous disait comment nous occuper de lui ; l'enfant ne devait pas jouer seul, il fallait toujours lui proposer quelque chose de neuf. Bref, il ne disposait d'aucun moment pour rêver...

Psychothérapie aidant, P. et moi, supportions mal la charge de V. Nous étions trop occupés par nous-mêmes, par notre propre malaise, notre thérapie était tellement accaparante. En un mot, V. était de trop.

On nous conseilla de « livrer » V. à l'école A.A.O. de Friedrichshof. Il n'y eut pas de discussion entre P. et moi. Je ne sais qui prit la décision mais mon excuse était que, dans la communauté, le père n'a que peu d'importance. V. fut donc envoyé, à deux ans, au lieu le plus sûr de la secte A.A.O.

A Friedrichshof, d'autres enfants étaient réunis, provenant des différents groupes des différents pays. Leur langue devenait l'allemand-autrichien.

D'emblée, V. eut une mère et un père de remplacement mais le père faisait souvent défaut. La mère de remplacement dormait dans la même chambre que V. qu'elle partageait également avec une autre femme et son enfant. Les différents hommes de la communauté qui dormaient avec elles n'étaient que de passage. V. ne semblait pas trop souffrir du manque de ses parents alors que d'autres enfants piquaient de véritables crises. L'un d'entre eux devenait comme fou quand son père - qui ne vivait pas en communauté A.A.O. - venait le voir. Il s'accrochait à ses pas, ne le quittant pas d'une semelle, le regardant amoureusement.

Otto (Otto Mühl, le tout puissant gourou de la secte) se moquait de cet enfant, mimant grossièrement son attitude, le ridiculisant aux yeux des autres enfants.

Un jour, la mère de remplacement me dit qu'il valait mieux que je ne voie plus V. Pourtant, je ne le rencontrais que fort peu. Il semble que mon enfant manifestait un désir tenace d'être avec moi et je ne voyais pas en quoi cela pouvait être néfaste pour son développement. J'ai alors craqué et fondu en larmes devant la mère de remplacement qui, finalement, a permis que je continue à voir V.

Pour une mère de remplacement, l'intérêt du rôle est double. D'une part, elle se prépare à devenir elle-même une mère et souhaite faire de son mieux pour l'enfant qu'elle a en garde et, peut-être, devenir l'élue de l'un des hauts guides et, pourquoi pas, avoir un enfant d'Otto lui-même. D'autre part, à travers l'enfant, elle peut se mettre en valeur face au reste du groupe. Elle n'est plus simple adepte mais mère de X. Cela compte beaucoup dans les jeux de structure où elle prend de l'assurance et le pas sur d'autres. La structure, c'est l'échelle des valeurs dans laquelle, du premier au dernier, tous les membres doivent avoir leur place hiérarchique.

Les enfants connaissent également la structure. Ils sont en groupes de familles et par groupes d'âges et, de semaine en semaine, effectuent la même palabre que les adultes. Tous les jours, Otto les reçoit pour le «  » (palabre des enfants) et les différents cas sont examinés. Si quelqu'un n'a pas été comme il faut, Otto le sait et gronde, hurle ou applaudit selon les situations. A la fin, il distribue un gâteau à chaque enfant, c'est la seule friandise qu'il reçoit.

Question alimentation, elle est identique à celle des adultes mais très souvent liquide. Peu ou pas du tout de viande, légumes, céréales, lait.

Dans la théorie, l'enfant devrait pouvoir choisir son modèle de père et de mère. Mais il ne pouvait que suivre l'exemple des grands et subir la pression de la hiérarchie suprême. J'ai eu mal au coeur en voyant une des adolescentes effectuer les mêmes roulements de hanche que les autres femmes devant Otto.

Un nouvel arrivant peut être frappé par l'aisance des enfants. En effet, ils ne semblent pas du tout complexés, discutent comme des adultes, posant des tas de questions. Ce ne sont d'ailleurs plus des enfants... ils suivent les mêmes jeux de psychothérapie que les adultes (naissance, jeux de rôles, actions matérielles, etc...), mais, une fois sortis du cadre, ils restent fort timides. Restant toujours en groupe, ne connaissant que l'École A.A.O., ils n'ont d'ailleurs pas besoin d'aller dans des écoles supérieures : ils sont destinés à devenir « guides » à leur tour. Plus malléables encore que les adultes, les désirs des enfants de devenir chef ou guide ou Otto sont présents depuis leur plus jeune âge.

Y a-t-il seulement du positif dans l'éducation A.A.O. Oui, tout n'est pas négatif, ainsi la façon d'enseigner l'histoire qui est réduite à des jeux : on joue à Jules César, à Hitler, à Van Gogh avec la scène poignante de l'oreille coupée. Et Otto joue parfois des contes en interprétant Dracula, un rôle qui lui sied à merveille. Les enfants peuvent critiquer l'attitude des éducateurs et pédagogues. Ils ne mâchent d'ailleurs pas leurs critiques. Bref, un monde en mutation avec des idées, des possibilités mais le tout enfermé dans un univers restreint, opprimant, tout ce qu'il faut pour devenir de parfaits petits AAOistes.

Voilà trois ans que j'ai quitté la secte et je garde de ces souvenirs comme une chape de souffrance. V. est sorti provisoirement, le temps pour sa mère de finir le divorce, d'en avoir la garde et de retourner - j'en suis persuadé - dans l'univers infect des A.A.O. V. préférerait rester avec moi et je remarque que tout le bourrage de crâne qu'il a subi dans la secte à mon sujet n'a pas perturbé l'amour de l'enfant pour son père. C'est l'une de mes consolations de savoir qu'on ne peut détruire la relation parents-enfant, du moins jusqu'à la période de l'adolescence.

Face à tous ces enfants qui souffrent dans une secte quelconque, je souhaite qu'un jour une loi puisse intervenir en leur faveur, permettre à un membre de leur famille de les reprendre pour les placer dans une école normale et leur redonner un foyer. On oublie trop que l'adepte d'une secte ne peut être pris comme responsable de son enfant alors qu'il n'est plus responsable de lui-même. Il vit dans le brouillard de son illumination...

J'aurais encore beaucoup de choses à dire sur Friedrichshof et les enfants A.A.O. par exemple, sur leur précocité face à la sexualité, parler de leurs névroses, de leurs psychoses, de leurs peurs, de leurs angoisses, mais le tisserand que je suis devenu ne cherche qu'à recoudre les plaies encore ouvertes de mon enfant. C'est dur pour un adulte, la vie dans une secte, mais pour un enfant ça l'est beaucoup plus. On parle de l'horreur d'être prisonnier dans les griffes d'un gourou. Et pour un enfant, alors

Certes, l'adulte que je suis est responsable des effets néfastes exercés par la secte sur mon enfant. Mais n'y aurait-il pas beaucoup d'autres responsables Interrogeons-nous sur les moyens de lutte dont nous disposons pour protéger nos enfants et utilisons-les à fond pour que nos enfants ne soient plus les victimes de l'attrait fallacieux des sectes qui agissent comme une marijuana encore tellement plus nocive. Nous n'avons pas le droit de ne pas nous y arrêter un moment : pour réfléchir et agir.
 

C. N.



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