La tentation de la violence

 Le territoire, la religion, la santé, tous repères quotidiens peuvent devenir prétexte à violence et grâce aux médias, nous pouvons, si nous n'y prenons garde, regarder ces débordements dans une morne indifférence.

 Combien d'entre nous ont pu conserver intact leur intérêt pour les nouvelles qui arrivaient du Texas ? Le gourou David Koresh, retranché dans son bastion de Waco, allait-il oui ou non se suicider ?

 Qui est ce personnage diabolique ? Koresh, autoproclamé " fils de Dieu descendu du ciel en 1989 ", épouse sur un ordre du " Très Haut " une gamine de quatorze ans, entraîne dans son délire mystique une centaine d'hommes, de femmes et d'enfants et tient en haleine l'opinion publique. Est-ce un nouveau Guyana qui se prépare ? Les méthodes du FBI seront-elles plus performantes que celles de la secte ? Autant d'interrogations tragiques qu'entretiennent savamment les médias.

 La question qui se pose aujourd'hui pour nous est : comment la violence peut-elle déferler sur une secte ?

 Notre ami, le Dr. Michel Monroy, grand familier de la systématique des groupes, s'est penché sur le problème et nous livre ses réflexions.

1. Demain la violence ?
2. Cohésion et mise en condition du groupe
3. Force de l'idéologie exclusive du groupe
4. Dramatisation et vertige du paroxysme

 Presque tout le monde s'accorde à condamner la violence et pourtant nous la voyons partout : violence institutionnelle telle que la guerre, violence de certains groupes (maffia, terrorisme), violence individuelle (meurtres ou suicides).

 A côté de cette violence sanglante, il existe d'autres formes : le dénuement total de certaines populations est une violence indéniable, l'injustice, l'humiliation, le rejet sont des violences et, enfin, l'emprise d'un être sur un autre, la manipulation, l'escroquerie morale sont des formes de mépris de l'identité unique et irremplaçable de l'Autre, donc une violence. Mais si nul n'y échappe complètement, la question est ici de savoir si certains groupes sont porteurs de violence potentielle, ou encore facilitateurs ou amplificateurs d'une violence latente, ou encore par leur fonctionnement même, créateurs de violence.

 Sans nous attarder sur la violence des foules, encore que celle-ci puisse être introduite et manipulée, nous ne retiendrons comme objet d'étude que les groupes structurés et organisés tels que se présentent certaines sectes.

 Même si leur objectif Initial n'est pas forcément la violence, il semble y avoir un cheminement caractéristique qui va de la violence - possibilité à la violence - nécessité.

 C'est ce cheminement qui nous intéresse ici. Trois conditions nous paraissent nécessaires pour qu'un groupe accède à ce qui apparaît comme là nécessité de la violence :

• la cohésion et la mise en condition du groupe,
• là force de l'idéologie de référence et son caractère exclusif,
• la dramatisation jusqu'au paroxysme amenant aux recours extrêmes.

Tous les secteurs de le vie sont impliqués

Le groupe a réponse à tout

L'emprise est telle que tout départ est considéré comme une trahison

Enfin la loyauté, l'obéissance, la soumission sont de mise, la hiérarchie est rigoureuse

 La violence devient légitime et l'allégeance totale de chacun donne un sentiment de très grande force. De plus il existe une amplification en écho qu'on peut qualifier de "résonance" : ma conviction se renforce de la conviction de l'autre qui se renforce de la mienne en s'amplifiant. Progressivement tout le système entre en " vibrations synchrones ".

 Bien sûr, celle-ci est beaucoup plus affinée dans le cadre d'une secte " intelligente " que dans celui du klan, par exemple, mais certains caractères sont communs.

 Pas de groupe totalitaire sans la conviction profonde, indéracinable, partagée, de la légitimité et de la valeur intrinsèque de ses règles et de ses buts.

 Selon le degré d'élaboration que développe le groupe, le champ des certitudes est plus ou moins large. Cela va du : " nous sommes les meilleurs " à une définition totalisante du monde visible et invisible, définition que propagent certaines sectes, en passant par les théories sur la génétique imposées naguère dans un pays voisin (Lyssenko).

 Qui détient la vérité a le devoir de la partager, voire de l'imposer aux malheureux qui sont dans l'obscurantisme. La certitude triomphante se doit d'être militante et de s'opposer à l'erreur par tous les moyens. Si l'ennemi résiste il faut le réduire "dans son propre intérêt", ainsi naît la violence.

 Pour ceux qui s'obstinent à ne pas croire, on doit bien conclure à une obstination suspecte, d'où une "diabolisation" des sceptiques et des critiques, l'esquisse d'un monde où les enfants de lumière doivent terrasser les fils des Ténèbres.

 La certitude dans la Révélation, le bon droit, la justice, la vérité finissent par aboutir à une subordination de toutes les autres valeurs à la Vérité essentielle.

 Quand on est détenteur de la Vérité, des secrets de la Vie, de la connaissance, toutes les autres contingences doivent être balayées. Comment ne pas croire que la fin justifie les moyens ? Ainsi progresse la légitimité, voire la nécessité de là violence.

 L'amputation des rapports avec le monde extérieur, l'allégeance entretenue des adeptes, la construction d'un univers alternatif inaccessible, la référence à un Absolu du groupe au-dessus de toutes les lois, la diabolisation des forces hostiles, l'inanité de toute réflexion et critique, la soumission à la hiérarchie, l'ivresse de la "puissance" matérielle ou spirituelle du groupe, le sentiment d'habiter une forteresse assiégée sont d'autant de conditions qui peuvent faire attendre et espérer l'Épreuve ultime, le grand Affrontement qui confirmera le bon droit et l'invulnérabilité des adeptes.

 C'est le paroxysme de l'initiation réussie, l'épreuve du sang, la preuve définitive de la Toute puissance du Bien que croit incarner le groupe.

 On pourrait comparer cette étape de la vie des groupes totalitaires à "l'emballement" d'un réacteur nucléaire ; l'affrontement dans la violence a de fortes connotations culturelles : Massada, Camerone 0kinawa, Septembre Noir, toutes évocations de héros prouvant une certaine conception du monde. Plus encore que la conviction partagée, l'épreuve du paroxysme dans l'affrontement réalise une ivresse collective qui renforce la cohésion du groupe. A ce stade, la violence est un Accomplissement.

 Si, par aventure, il advient un malheur à un adepte, la victime érigée en martyr renforce le sentiment d'appartenance et le caractère sacré de la mission.

 Alors, que faire ?

 Nous avons vu que dans le cas des sectes un certain nombre de conditions sont réunies comme dans d'autres groupes totalitaires pour que la violence, de simplement possible, devienne inéluctable. L'homme de bonne volonté se sent impuissant à enrayer un processus qui lui échappe d'autant plus que les frontières de la secte sont bien gardées.

 Pourtant, nous savons que l'engouement pour les sectes s'alimente du désarroi, de l'absence de repères et de convivialité vraie, de l'évacuation des dimensions trop matérialistes, du déclin de l'humanisme et aussi de la ségrégation et du rejet.

 Gardons de là diabolisation ceux d'entre nous qui ont cru trouver là une réponse à leurs questionnements.
 

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