(Source : Bulletin de liaison du CCMM de
septembre 1993)
Nous connaissons tous la complexité du phénomène
sectaire et nous savons que nous devons allier écoute et objectivité.
Notre réflexion vise à déterminer des critères
de diagnostic afin d'éviter tout amalgame entre par exemple:
les groupes religieux minoritaires et les groupes totalitaires opérant
sous un masque religieux,
les organismes mettant en oeuvre les " nouvelles psychothérapies
" ou les techniques de développement personnel pouvant avoir un
caractère commercial et les groupes sectaires qui adoptent le masque
de la thérapie.
Rien n'est plus facile à imiter et à dévoyer que
les techniques de psychothérapie et créer ainsi un mouvement
dangereux pour les libertés individuelles. Autrefois, dans l'Antiquité,
les vaincus de la guerre perdaient leur liberté et devenaient esclaves.
De nos jours plus besoin de légions romaines, une " bonne" manipulation
mentale peut suffire.
Attention, la manipulation mentale est à la mode. Tous
les médias en parlent.
Parmi les masques empruntés par les groupes sectaires la religion
et la psychothérapie sont les plus répandus. L'équivoque
entretenue avec la psychothérapie est difficile à dissiper
pour le profane. En effet les techniques psychothérapiques se présentent
comme une nébuleuse aux contours flous, nimbée de mystère
et recelant la plus grande diversité. De plus elles exercent un
fort pouvoir d'attraction sur des personnalités en quête de
repères ou simplement de développement personnel.
Faute d'information appropriée, le danger est grand pour
l'usager de se laisser prendre aux propositions de " traitement" des groupes
sectaires ou, à l'inverse, de suspecter à tort des praticiens
bien intentionnés.
Un essai de définition de ce qu'est la psychothérapie
s'impose :
Il s'agit d'un contrat volontaire entre un ou plusieurs patients
et un ou plusieurs psychothérapeutes définis comme tels et
dûment formés à cet effet.
Il s'agit d'une technique comportant un protocole relativement précis
avec des impératifs et des limites.
La méthode repose sur des bases théoriques relatives
au développement initial de la personne, aux facteurs pathogènes,
aux mécanismes mis en oeuvre par le traitement, à une définition
de l'homme " équilibré ".
La thérapie utilise des médiateurs comme la parole
mois aussi l'expression gestuelle ou scénique ou corporelle, ou
encore le groupe, la musique, la vidéo.
La thérapie suppose un parcours évolutif qui va de quelques
jours (thérapies brèves) à quelques années.
Elle suppose des indications qui doivent être posées avec
prudence et des contre-indications qui doivent être effectuées
par des professionnels en mesure d'apprécier les dangers.
Elle doit avoir comme finalités exclusives d'une part le
soulagement des troubles, d'autre part le développement personnel
mais aussi l'autonomisation de la personne, son indépendance
à terme par rapport au thérapeute.
En cas de maladie physique grave elle peut constituer un appoint pour mobiliser
les ressources psychologiques du patient mais elle ne doit pas se substituer
aux traitements médicaux.
Une nébuleuse de trois cents techniques
Lorsque ces conditions ne sont pas réunies on ne peut perler de
psychothérapie proprement dite, mais seulement d'effets psychothérapeutiques
dont il ne faut pas minimiser l'importance et qui constituent un appoint
irremplaçable. Les psychothérapies dont le développement
correspond à la naissance de le psychanalyse au début du
siècle, connaissent un essor foudroyant depuis la seconde guerre
mondiale. on en connaît plus de trois cents sans compter les variables
individuelles introduites par les thérapeutes. Toutes n'offrent
pas les mêmes développements théoriques, le même
sérieux dans les cursus de formation, les mêmes unités
de recherche, les mêmes garanties de contrôle par des associations
structurées.
Un champ d'application extensif
Le champ d'application des psychothérapies dépasse de beaucoup
les difficultés psychologiques ou les maladies mentales : les techniques
on été reprises souvent dans une optique de développement
personnel, d'amélioration dés relations sociales, ou encore
dans le champ des maladies psychosomatiques ou au bénéfice
de certaines catégories d'usagers : personnes en fin de vie, couples
en difficultés, délinquants, toxicomanes, sportifs de haut
niveau, managers, etc.
Certaines techniques directement issues de la nébuleuse
psychothérapique sont couramment utilisées dons le monde
de la publicité, de la vente, du management d'entreprise, de la
politique et ... des groupes sectaires. Les méthodes qui connaissent
la plus grande diffusion tant dans le secteur de la santé que dans
d'autres applications sont, en tout premier lieu, la psychanalyse avec
ses multiples écoles et ses dérivés, mais aussi les
thérapies comportementales et cognitives, les thérapies familiales
systémiques, les thérapies institutionnelles, l'hypnose et
ses dérivés, l'analyse transactionnelle, la programmation
neuro-linguistique, la bioénergie, sans parler du psychodrame, de
l'art-thérapie, de la vidéo-thérapie, de la gestalt,
de la scénothérapie, de la musicothérapie, du rêve
éveillé dirigé, des techniques orientales, du rebirthing,
de la végétothérapie, l'audiopsychologie, etc.
Toutes ces techniques et bien d'autres sont utilisées par
des thérapeutes formés, contrôlés et intégrés
dans des institutions publiques ou dans le cadre privé, avec pour
finalité le mieux être des clients et sans arrière
pensée de mise en dépendance d'embrigadement et d'exploitation
indéfinie de ceux-ci. Pour autant la réussite ne va pas de
soi et dépend largement de l'état initial de là personne
traitée, du choix judicieux de la technique et surtout de la qualité
du thérapeute, élément irremplaçable. S'il
arrive que tel ou tel de ces thérapeutes méconnaisse ses
devoirs, ce qui arrive dons toute corporation, un recours auprès
des autorités dont il dépend (ordre des médecins par
exemple) ou auprès de l'association nationale qui le contrôle
s'avère possible.
Un problème de confiance et de garantie
Mais ceci n'écarte pas toutes les interrogations : elles peuvent
porter sur les méthodes qui paraissent parfois bizarres et aussi
sur les changements constatés chez le patient qui peuvent inquiéter
son entourage. La plupart des méthodes combinent des éléments
rationnels et émotionnels. La réactualisation d'expériences
traumatisantes du passé avec tout ce qu'elle comporte de souffrance
et d'émotion a souvent mauvaise presse auprès d'un public
non averti. Là où l'homme de la rue préconise d'oublier
le passé, le thérapeute invite le patient à reprendre
et analyser les expériences traumatisantes. Cette tendance rend
suspecte là démarche psychothérapeutique auprès
des personnes qui n'ont pas les mêmes raisons que les patients d'essayer
de savoir " ce qui s'est passé pour qu'ils soient ainsi.
Certaines techniques ont pour objectif de provoquer délibérément
d'importantes charges émotionnelles : cris, pleurs, angoisse, agitation
motrice, colère, perte momentanée du contrôle. Tout
ceci ne laisse pas d'être inquiétant pour l'observateur non
averti mais fait partie d'une déstabilisation transitoire jugée
nécessaire dans le cadre de la plupart des psychothérapies
mais qui ne doit pas laisser de séquelles durables.
Plus inquiétants pour l'entourage sont les signes d'un
changement profond de la personnalité : modification du caractère,
des comportements, des choix affectifs et existentiels.
Bien sûr, certaines thérapies ne sont pas aussi bouleversantes,
surtout si elles ont pour objet des remaniements partiels : amélioration
de l'affirmation de soi, traitement d'une phobie isolée, amélioration
des relations sociales, par exemple.
Mais dans tous les cas il existe une rupture : rupture avec des
habitudes antérieures, avec des réactions répétitives,
avec une certaine image de soi et de l'environnement, avec une vision "aménagée"
du passé, avec des images parentales idéalisées, etc.
Cette rupture est inévitablement déstabilisante
et s'accompagne fréquemment d'une fixation sur l'image rassurante
du thérapeute fortement idéalisée. Ce travail de rupture
ou de déconstruction de l'univers antérieurement perçu
doit être suivi normalement d'une période de reconstruction
sur de nouvelles bases avec liquidation du rapport de dépendance
au thérapeute. La psychothérapie réussie doit conjuguer
la diminution des souffrances, la disparition des séquences douloureuses
répétitives et l'autonomisation du sujet.
Quand il s'agit de thérapie de groupe les effets sont encore
amplifiés, la mobilisation émotionnelle est facilitée
et les effets de suggestion amplifiés. Une distinction nette entre
ce qui se passe en séance et les phénomènes de la
vie courante ainsi qu'un nécessaire travail de deuil, permettent
d'éviter que la dépendance momentanée au groupe ne
se transforme en aliénation durable.
Savoir discerner les différences
On voit déjà ici se dessiner de nettes différences
avec là dynamique créée dans les groupes sectaires.
Faut-il encore que l'usager ait pu en prendre conscience avant qu'il ne
soit trop tard. Ce serait méconnaître dangereusement les groupes
totalitaires que d'ignorer l'extraordinaire subtilité dont font
preuve certains pour prendre l'apparence, le langage, les méthodes
de véritables thérapeutes. Ainsi, la déstabilisation,
l'ébranlement des repères et des certitudes, la construction
d'un regard neuf sont savamment orchestrés. Le vocabulaire y aide,
faisant l'objet d'une véritable initiation. La déstabilisation
induit le recours et la fixation sur le soi disant thérapeute visant
à créer une dépendance cette fois irréversible.
Le traitement des doutes éventuels consiste à prescrire
" un peu plus de là même chose ".
La théorisation plus ou moins élaborée selon
les groupes peut connaître une extrême sophistication prenant
en compte la genèse de la personne, les avatars supposés
à l'origine des dysfonctionnements, les techniques permettant de
réduire les dysfonctionnements et enfin un modèle de l'homme
" libéré ".
Les références, à l'évidence empruntées
à l'hypnose, à la psychanalyse, à l'analyse transactionnelle,
à la programmation neurolinguistique, aux techniques de groupe,
ne sont jamais explicites et se présentent comme originales et nouvelles.
Il s'agit d'un véritable détournement de techniques existantes
avec une programmation orientée de la phase de reconstruction dont
nous parlions plus haut.
Apparence d'efficacité ou efficacité réelle
Quant aux effets produits, ils sont indéniables mais méritent
d'être examinés de plus près. Les effets immédiats
peuvent être spectaculaires, ce qui explique la sincérité
de certains témoignages. La suggestion, l'effet de groupe, la mobilisation
des émotions, le sentiment de nouveauté, la dépendance
au thérapeute peuvent créer à court terme un sentiment
d'exaltation réduisant les conflits, mobilisant les énergies,
supprimant certains malaises, créant un sentiment de fusion groupale
et d'harmonie qu'on retrouvera aussi dans les situations authentiquement
thérapeutiques ou encore dans les premiers mois d'une toxicomanie,
bien connus sous le terme de Lune de miel.
Par la suite la véritable finalité du groupe aura
son plein effet, à savoir l'assuétude ou construction d'un
univers clos, imperméable et dogmatique asservissant les ressources
de la personne au lieu de l'autonomiser.
Jusqu'ici nous n'avons retenu que des éléments d'analogie
voire de confusion entre thérapies et groupes sectaires :
mêmes attentes de la clientèle, mêmes méthodes,
vocabulaire d'initiés, même phase de déstabilisation,
même diversité dans l'offre du marché, coûts
non négligeables des deux côtés, finalités différentes
mais cachées en ce qui concerne les sectes, même défiance
à priori de la part du grand public, même absence de statut
officiel de certains intervenants, même étrangeté de
certaines pratiques, mêmes effets constatables à très
court terme... Il faut reconnaître que le masque fonctionne assez
bien.
Se méfier de sa méfiance
Une attitude de défiance généralisée envers
les psychothérapies et les sectes paraît la plus mauvaise
des solutions. Les psychothérapies font intégralement partie
de notre paysage culturel et s'avèrent irremplaçables. Associées
aux prescriptions médicamenteuses elles ont permis dans les dernières
années qu'une très forte proportion de personnes souffrant
de troubles mentaux ne soient plus maintenues en institution. L'aide psychologique
devient un recours incontournable dans de nombreux domaines. Malheureusement
ce domaine est si diversifié et fait l'objet de telles controverses
entre les différentes écoles qu'il ne peut être réglementé
et que là seule garantie repose sur le sérieux d'associations
reconnues pouvant se porter garant des thérapeutes qu'elles forment.
En ce qui concerne les sectes dangereuses, si on ne veut pas se
contenter d'un diagnostic à posteriori on ne peut que consulter
les organismes comme le nôtre qui les ont répertoriée
après une analyse précise. Il existe cependant des critères
que nous avons développés dans un autre texte et que nous
résumons ici : critère d'organisation, critère de
hiérarchie, gourou autoproclamé, méthodes d'embrigadement
(séduction, masques, contraintes), critère de ...
Conclusion
Ce n'est pas par hasard que les groupes totalitaires ont, à côté
du créneau religieux également productif, sélectionné
le champ des psychothérapies. Nous y voyons trois raisons principales
: il est attractif, disponible et mal gardé.
L'étiquette psychothérapique est attractive car
elle correspond à un retour de l'individualisme et de l'initiative
personnelle dans un monde de l'anonymat et de le civilisation des masses.
Elle offre la chance d'une progression personnelle et de l'acquisition
d'un pouvoir sur son destin.
Le champ des psychothérapies est disponible à tout
un chacun alors que la recherche du pouvoir par d'autres voies est beaucoup
plus aléatoire ou risquée (domination économique,
politique, maffia, etc. ).
Ce champ est mal gardé car il est en pleine expansion et
très diversifié. Le statut de psychothérapeute ne
fait l'objet d'aucune reconnaissance ni contrôle officiel. Cette
confusion est propice à tous les détournements.
Malgré tout, on peut penser que le public de mieux en mieux
averti apprendra à faire là distinction entre le processus
d'autonomisation que doit être la psychothérapie et le processus
d'aliénation que visent les sectes.
Dr. Michel Monroy
Troublantes ressemblances ou emprunts inavoués
"L'électromètre" de la Scientologie
rappelle étrangement l'appareil de biofeed-back employé en
thérapie comportementale.
Les techniques répétitives largement répandues (Lotus
d'Or, "vibrations" d'IVI, "Mahamantra de Krishna",
pratique de Mahikari, " mantra de la méditation
transcendantale, daîmoku de Soka Gakkaï,
etc... etc... l'assimilent aux techniques d'hypnose détournées
de leur but thérapeutique.
Les manipulations émotionnelles de groupe très sophistiquées
dans Le mouvement" mais présentes dans le
majorité des sectes dangereuses s'inspirent du "training group",
des "thérapies traditionnelles", des "groupes marathon" et des thérapies
de groupe mais détournées de leur but thérapeutique.
Les techniques corporelles utilisées par le mouvement
raëlien, le centre ECK rappellent étrangement les techniques
dérivées de la bioénergie, des thérapies reichiennes,
du Rebirthing et de la végétothérapie.
Les séances d'audit, la reviviscence des traumatismes anciens (les
engrammes), la description d'instances
de la personnalité (le mental réactif)
développées par la Scientologie apparaissent comme une sorte
de copie non conforme de le psychanalyse avec un néo vocabulaire
dissimulant les emprunts.
Dans la pratique, des techniques psychologiques détournées
de leur but initial et pratiquées sans formation qualifiée
peuvent s'avérer très dangereuses.